Spectacle conçu et mis en scène par Vincent Macaigne d'après l'oeuvre de Fedor Dosyoievski, avec Dan Artus, Servane Ducorps, Thibault Lacroix, Pauline Lorillard, Vincent Macaigne, Emmanuel Matte, Rodolphe Poulain, Thomas Rathier et Pascal Reneric.
Grâce au travail de Vincent Macaigne, les plus anciens se sentiront rajeunir en retrouvant sur scène ce qui était le quotidien du théâtre d'avant-garde des années 1970.
Les plus radicaux regretteront cependant que Vincent Macaigne ne reprenne qu'une partie des provocations du théâtre post-soixante-huitard. Car, s'il aime déverser du liquide sur ses personnages, les couvrir de peinture ou de terreau, il n'a jamais aucune tentation pipi-caca. Pas d'excréments, pas d'urine, pas de vomi, même pas le moindre crachat dans ce théâtre terriblement de bon aloi.
S'il aime la mousse et la fumée, il zappe complètement les plaisirs de la table : personne ne s'empiffre d'aliments, a fortiori personne n'en expulse ni ne s'en enduit. La critique de la goinfrerie bourgeoise n'est donc pas de saison dans ce théâtre dont la radicalité est "à géométrie variable".
Ainsi, et les féministes apprécieront plus que les voyeurs, si les acteurs peuvent rester de longs moments dans le plus simple appareil et laisser apprécier aux connaisseurs leurs parties dites génitales, les comédiennes auront les seins toujours couverts et ni fesses ni petites culottes ne seront de sortie.
Quid, dans cette machinerie compliquée, dans ce bric-à-brac poubellistique, où le sublime est supposé sortir du sordide, de Dostoievski et du héros de "L'Idiot", le prince Mychkine ? Il faut mettre au crédit de Vincent Macaigne qu'il suit grosso modo l'intrigue du roman et tente d'en garder l'esprit russe sans commettre d'anachronismes.
Car, si, durant un long moment, un téléviseur déverse le débat Hollande-Sarkozy précédant l'élection du 6 mai 2012, Macaigne se garde d'évoquer la Russie de Vladimir Poutine et maintient son propos dans une dialectique abstraite entre la Russie "tsaro-communiste" et le libéralisme occidental. Commencé dans le corps du texte de Dostoïevski, la pièce a tendance à s'en éloigner après l'entracte, pendant lequel Macaigne et ses acteurs poursuivent de vains échanges dans le hall du théâtre.
Ce prologue à la seconde partie de "Idiot !" n'est pas vraiment utile, pas plus que leur parade initiale devant le théâtre à l'heure de l'arrivée des spectateurs de clowns felliniens croyant jouer Vladimir et Estragon et faisant plutôt penser à des baladins de Beaubourg.
D'autant plus qu'en entrant dans la salle, on est saisi par une musique tonitruante qui met en condition, et qu'on peut affronter à l'aide des boules Quies opportunément distribuées par le personnel du théâtre. C'est d'ailleurs le seul moment révolutionnaire de la soirée, puisqu'on pourra y entendre les Choeurs de l'Armée Rouge.
Ce qui permettra à un spectateur encravaté d'avoir ce joli mot d'enfant en passant devant l'avant-scène déjà encombré de spectateurs raptés dans la salle pour "faire plus interactif", qu'excitait au mégaphone la troupe des hirsutes macaignien : "Ce sont des intermittents ?"
Non. C'étaient des permanents, de solides et remarquables permanents capables de gueuler comme des camelots pendant plus de trois heures et trente minutes, tout en recevant moult choses sur la tête et force claques de la part de leurs partenaires.
Théâtre physique, n'accordant aucun répit aux acteurs sauf pour qu'ils puissent savourer les gros morceaux de bravoure souvent réussis que leur impose leur mentor , "Idiot !" au sous-titre poétique "Parce que nous aurions dû nous aimer", est un bazar qui contient des trésors parmi beaucoup de babioles sans valeur.
On aimerait donc que le cinéaste du viscéral "Ce qu'il restera de nous", ce vrai court moment de beauté anarchiste, se discipline un peu, évite la complaisance du faux "jeunisme", s'astreigne à la discipline de ne pas répéter plusieurs fois les mêmes dispositifs.
En clair, ramassé en deux heures, son spectacle gagnerait en intensité, éviterait bien des potacheries et pourrait gagner en émotion, alors que dans cette version longue, tout se perd dans un brouhaha inutilement destroy et finalement très niais.
Et puis, une version plus courte lui permettrait de rassembler ses idées, et accessoirement celles de Dostoievski, et surtout de ne pas finir sur "Avec le temps", le plus cucul des poncifs consensuels, que le théâtre le plus bêtement "bourgeois" n'oserait plus proposer et que Léo Ferré lui-même, à la fin de sa vie d'éternel jeune lion rugissant, se maudissait d'avoir osé écrire pour tirer des larmes à Margot. |