Réalisé par Eric Vuillard. France. Drame. 1h05 (Sortie le 26 novembre 2014). Avec Hugo de Lipowski, Hiam Abbass, Patrick Le Mauff, Florian Cadiou, Thierry Levaret, Pierre Moure, Pascal Durozier et Barthélemy Goutet.
Dépouillé, rigoureux, réduit à l'essentiel, "Mateo Falcone" d'Eric Vuillard n'est pourtant pas un film ascétique.
Partant de la nouvelle de Prosper Mérimée, riche en clichés sur la Corse et son code de l'honneur, l'auteur de "Congo" et de " Tristesse de la terre", pour sa première expérience derrière la caméra, en a fait une épure où les sentiments sont poussés à l'excès de leur essence.
En quelques plans d'une nature d'une beauté presque inattendue, digne de figurer dans un chef-d'oeuvre de Caspar David Friedrich, Vuillard l'écrivain fait place nette à Vuillard le cinéaste. Ici, les mots sont toujours de trop et se résument à quelques questions laconiques et à quelques cris de peur ou de surprise.
Ce n'est pas facile pour un écrivain, a fortiori quelqu'un qui écrit bien et juste, de comprendre qu'il faut se priver de sa palette habituelle, sans pour autant, d'ailleurs, se complaire dans la facilité d'un film muet ou sans réplique.
Pendant cette heure de vent et de haine, on ressentira une émotion quasi "tarkovskienne" Et il n'y a aucun hasard si l'image du film choisie pour l'affiche, avec cet arbre de vie tenace, séparant deux ombres dans le maquis, pourra rappeler des plans du "Sacrifice" de Tarkovski.
"Mateo Falcone" d'Éric Vuillard est un film qu'il faut qualifier de "planant", grâce à la photo magnifique de Yohann Charrin, qui saisit par sa science des contrastes, et grâce à la bande-son extrêmement travaillée d'Yves Capus.
Mais, quand le récit l'exige, il peut perdre en un cri cette dimension onirique et devenir soudain angoissant quand les gros plans sur les hommes préoccupés par leur vengeance se font plus nombreux, plus précis, plus insistants.
Pas question, cependant, pour Vuillard de céder au clin d'oeil spaghetti. Sergio Leone n'est pas convoqué par Mateo Falcone, pas plus que le maniérisme eastwoodien visible dans "Impitoyable". Étrangers à la légende et au mythe, les personnages accomplissent sans héroïsme leur dessein criminel ou leur justice tragique.
On se souviendra longtemps du plan très rapproché sur la carabine de l'homme qui s'apprête à tirer : ici pas question de prouesse habile mais d'un acte barbare dont le fusil est l'instrument mécanique trivial, froid et sans pitié.
Loin de tout contresens, on osera penser que "Mateo Falcone" d'Eric Vuillard est un vrai western au-delà de tout bien et de tout mal. Une leçon singulière qui fera frissonner, comme le regard intense d'Hiam Abbass, impavide de corsité, témoin accablée de ce dernier jour d'humanité qui disparaît avec le jeune Fortunato.
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