Comédie dramatique de Martin Crimp, mise en scène de Rémy Barché, avec Marion Barché, Myrtille Bordier, Louise Dupuis et Alexandre Pallu.
Double actualité parisienne pour le dramaturge anglais Martin Crimp et deux propositions radicalement différentes, aux antipodes formelles l'une de l'autre, ce qui, a priori, n'est pas fondamentalement aberrant compte tenu de l'hétérogénéité de ses partitions.
Mais si la création de son dernier opus en date "Dans la République du bonheur" par le collectif d'acteurs le Théâtre des Lucioles bénéficie de l'exubérance de la mise en scène parodique, performative et musicale de Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier, l'ascétisme conceptuel guide Rémy Barché dont les parti-pris de mise en scène de "La ville" rendent incompréhensible une partition absconse pour qui n'en connaît pas les dernières répliques.
Ecrite en 2007, cette pièce devenue un classique crimpien s'ouvre par une scène conventionnelle, en l'occurrence un couple qui évoque les événements de leur journée, mais de manière singulière puisque narrativisée : le couple n'échange pas mais rapporte des conversations échangées avec des tiers.
Les scènes suivantes qui semblent s'inscrire dans un quotidien et une linéarité chronologique sont subverties par la survenance d'étrangetés, un peu à la manière pintérienne, dans la teneur des propos ou l'immixion de personnages inattendus voire incongrus, qui va progressivement désagréger la situation et saborder l'illusion théâtrale pour pointer la vraie thématique.
De plus, le thème du délitement du couple n'est qu'un leurre. Martin Crimp ne s'intéresse pas ni aux individus ni à leurs petites histoires. "La ville" ne concerne pas des êtres vivants mais l'acte d'écriture et le processus de création fictionnelle et l'opus se présente comme la représentation du paysage mental du personnage principal, une arlésienne, qui est l'auteur dans une déclinaison pirandellienne symétrique.
Car ce ne sont pas les personnages qui sont en quête d'auteur mais l'auteur qui est en quête de personnages de papier pour peupler "sa ville" terme symbolique pour désigner l'oeuvre en cours d'écriture et ce qui se passe sur le plateau représente le paysage mental de l'auteur.
Or, avec la collaboration de Adèle Chaniolleau, Rémy Barché opte pour un contrepoint dramaturgique dès les premières répliques, avec un jeu d'acteur anti-naturaliste et anti-réaliste avec une gestuelle et une scansion distanciées qui ressortissent à l'étrangeté, l'absurde et l'irréalité, et qu'il surligne ensuite de manière appuyée par des éléments scénographiques - tels des objets à l'échelle modifiée, l'emploi de fumigènes, une fistule géologique et même le "truc" de la chaise invisible.
Le processus ainsi désamorcé, et nonobstant l'investissement des jeunes comédiens de la troupe de la Comédie de Reims, Marion Barché, Alexandre Pallu, Louise Dupuis et Myrtille Bordier, la sollicitation intellectuelle vite émoussée se mue en attentisme devant ce surenchérissement dans l'absurde qui dure près de deux heures avant le pseudo-dénouement. |