Comédie dramatique de Pavel Priajko, mise en scène de Dominique Dolmieu, avec Céline Barcq, Barnabé Perrotey, Salomé Richez et Federico Uguccioni.
"La récolte", farce et fable, ballet de clowns tragiques et satire burlesque, la partition au titre anodin du dramaturge biélorusse Pavel Priajko s'avère singulière, étonnante et détonnante.
La situation est simplissime : quatre personnages à parité homme/femme, dont rien n'est révélé quant à leur histoire, leur présent ni même leur psychologie, mais qui, manifestement, ne sont pas des travailleurs saisonniers, s'activent pour procéder à la cueillette de pommes.
Le texte quant à lui, procède d'un syncrétisme singulier entre les mythologies, biblique et grecque, le naturalisme tchekhovien et l'absurde beckettien, et qui serait au théâtre ce que le Sots Art est aux beaux-arts, traité à la manière oulipienne.
En effet, Pavel Priajko trace une fresque de la la société biélorussienne post-soviétique par le jeu d'une écriture qui jamais ne se détourne de sa métaphore fruitière et toutes les actions et répliques des personnages sont uniquement vouées à la pomme, en l'occurrence la variété particulière de "Reinette dorée" et au processus de récolte.
Si Ira (Céline Barq), Liouba (Salomé Richez) et Egor (Federico Uguccioni), néophytes sortis de nulle part, doublés de nigauds ahuris, dépourvus de passé mémoriel et de mémoire cognitive, manifestent quelle velléité ouvrière, pour "en finir" même n'importe comment mais vite découragés, aucun, à l'instar de la poule qui a trouvé une fourchette, ne sait comment faire.
Seul le quatrième, Valeri (Barnabé Perrotey), semble détenir quelques connaissances "techniques" qui le positionnent en contremaître officieux.
Par ailleurs, les pommiers sont rétifs pour délivrer leurs fruits, les pommes s'avèrent indisciplinées et fugueuses, voire dangereuses quand elles sont écrasées sur le sol, et rancunières quand elles sont talées au point de contaminer leurs voisines. Même les caisses de stockage lâchent prise, qui, exaspérés, sont entraînés dans une spirale dévastatrice.
Dans la petite boîte noire qu'est le théâtre de la Maison d'Europe et d'Orient, et avec, bien évidemment, uniquement des caisses et des pommes, Dominique Dolmieu assure la mise en scène au cordeau de cet opus déconcertant et souvent jubilatoire qu'il analyse comme un "essai poétique du désastre".
Il dirige quatre comédiens épatants qui campent superbement ces figures dépourvues de consistance, et néanmoins dangereuses, sur lesquelles s'écrasent l'humanité. Le rire, sans doute celui du désespoir, les rieurs les plus démonstratifs en début de représentation finissant mutiques, jalonne les épisodes de cette apocalypse consommée. |