Comédie de Ivan Viripaev, mise en scène et interprété par Sophie Cattani, Antoine Oppenheim et Michael Pas.
D'abord, et avant tout, il y a un titre étrange en forme de proverbe. Comme l'auteur, Ivan Viripaev, est un jeune Russe d'à peine quarante ans, on verrait bien la phrase comme un adage slave.
En fait, on penchera plutôt pour une autre explication : le trio sur scène, parlant dans ce qui ressemble au vestiaire où se préparent et se rhabillent les candidats d'un concours de danse, joue à un jeu bien connu, celui dans lequel il faut glisser dans un discours apparemment sérieux une expression incongrue.
D'ordinaire, le mot inattendu à répéter est le mot "enclume" ou l'adverbe "anticonstitutionnellement". Ici, il s'agit d'introduire dans les dialogues, sans se faire pincer, la phrase "Les guêpes de l'été nous piquent encore en novembre". C'est d'autant moins facile que les thèmes de la conversation qui animent les trois protagonistes danseurs tournent autour de l'adultère supposé de Sara, la jeune femme et de tout ce que cela inspire aux frères ennemis Robert et Donald.
Est-ce vraiment du théâtre ? En respecte-t-on les codes modernes établis depuis le 19e siècle ? N'est-on pas plutôt face à des gens saisis dans la vacuité d'une attente de résultat à un concours ? Cela n'expliquerait-il pas le caractère désordonné, pour ne pas dire incohérent, de leurs échanges verbaux ? Cela ne signifierait-il pas que le refus de tout enjeu dramatique est un parti-pris ultra volontaire ?
En tout cas, le prisme choisi est clairement "réaliste". Il n'y a pas de leçons de vie à attendre du trio, pas non plus de quoi alimenter un sentiment d'étrangeté et encore moins déclencher des rires et des pleurs.
Sans être hermétique, "Les guêpes de l'été nous piquent encore du novembre" est un texte sobrement plat, ne disposant d'aucune aspérité à laquelle on pourrait s'accrocher, et a fortiori se raccrocher, pour poursuivre une escalade rigolote ou tragique. Il faut ainsi entendre sans tout comprendre, accepter que l'un mange une banane et l'autre installe un lit de camp, et que cela soit les faits saillants de la représentation.
Sophie Cattani, que l'on avait vraiment apprécié au cinéma en train de "Chercher le garçon" dans le film de Dorothée Sebbagh, s'est associée justement à deux spécimens du genre masculin, Antoine Oppenheim et Michael Pas, pour mener cette entreprise "postmoderne" tambour battant.
Car, au rythme latino de la vidéo qui diffuse, en caméra de surveillance, le spectacle de danse d'où proviennent vraiment les occupants du vestiaire, les choses vont vite. On mettra au crédit du spectacle d'être court et de ne pas viser, en plus, l'ennui.
De quoi "Les guêpes de l'été nous piquent encore en décembre" est-il finalement le nom ou le symptôme ?
Peut-être du rêve incommensurablement prétentieux d'un auteur russe de venir à bout du théâtre. Ivan Virapaev prépare l'après théâtre sans passer par l'absurde à la Beckett. Ne rien dire mais le laisser dire en échangeant des paroles pas forcément inconsistantes serait sa marque de fabrique.
Les comédiens du Collectif ildi! Eldi, qui se mettent eux-mêmes en scène et sont aussi responsables de ce convaincant décor déclinant une salle de répétition ou des coulisses, se sortent sans encombre de ce terrain miné par Ivan Viripaev. Pour y parvenir, sans doute éludent-ils un peu vite les allusions politiques qui pointent ici et là.
Véritable auberge espagnole, cette pièce russe passionnera ceux qui auront compris très vite qu'elle compte sur un spectateur attentif, habité à décrypter un texte codé pour laisser passer quelques vérités dangereuses à dire clairement. |