"On était parti pour effacer la mer, cette mer qui nous tient dans ce monde effondré. Et je ne sais pas très bien jusqu’où devront aller…"
La musique n’est pas qu’une affaire de règles solfégiques, harmoniques ou contrapuntiques. C’est aussi une affaire de sensations, d’affect. Chez Orso Jesenska, Effacer la mer, c’est faire souffler le vent, celui qui nous porte, celui qui faisait déjà ployer les herbes hautes d’Un courage inutile, pour mieux se retrouver, pour mieux se réunir, pour poétiser le monde. Ici, la beauté est crue, elle ne cède en rien à la facilité et ne se dévoile pas à la première écoute. Les mélodies se dérobent sous des paroles d'une terrible intimité. Les résonances du cœur… Elles sont comme un bouquet de roses, superbes mais épineuses. Elles sont rudes, rugueuses comme la vie. Et vivre, c’est résister. Forcément, irrémédiablement.
L’album comporte treize chansons, une reprise de "Palabras Para Julia" de Paco Ibañez et douze autres écrites et composées conjointement par une belle équipe d’amis : Orso Jesenska, Marianne Dissard, Bobby Jocky, Thomas Belhom et Mocke. On retrouve donc forcément la patte mélodique de Thomas Belhom mais surtout celle onirique et presque énigmatique du guitariste Mocke, rappelant la beauté assassine du dernier Midget!. L’addition de musiciens ne dessert absolument jamais l’écriture du Marseillais. Les accords mineurs s’entrechoquent, les harmonies diminuées jouent à cache-cache, aériennes, planantes, elles sont parfois presque fantomatiques comme simplement effleurées. Cet art de la délicate sinuosité. Ecoulement des fluides. Il y a de l’audace dans cette musique (comme commencer son disque a cappella avec "Un Parfum") mais beaucoup d'humilité aussi.
Effacer la mer, plus ambitieux que le déjà entêtant Un courage Inutile est un disque intense, exigeant, profondément humain et humaniste à l’image de son auteur. C’est un dialogue entre le souffle de l’intime et la musique intérieure de son auteur. Mélange hybride entre Dominique A (pour cette façon d’appréhender le chant avec un lyrisme tout en retenue), Henri Calet encore, Smog, une certaine liberté liée au jazz et la chanson française. De la bossa apatride, des valses lentes, du saxophone déchirant. Orso Jesenska en simplement deux albums se révèle comme un artiste précieux car il touche en plein cœur. Si la chanson française était une couronne, sa musique en serait à n’en point douter un des joyaux.
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