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Aller voir  (Estampe / Ulysse Productions)  octobre 2013

On connaissait Laurent Berger sans le connaître, pour avoir vu sa photo dans certains lieux où fleurit, loin des serres médiatiques, une chanson poétique de qualité (Forum Léo Ferré, Limonaire). Et par personnes interposées : Jacqueline Girodet, de l’association Chansons Buissonnières, qui accueille à Grenoble les auteurs-compositeurs pratiquant un art plus exigeant que la moyenne ; Denis Dupas, éminent connaisseur de tout ce qui a trait à Allain Leprest (les récents livres Dernier domicile connu et Gens que j’aime lui doivent beaucoup), qui a accueilli Berger lors de concerts en Bretagne et ne tarit pas d’éloges à son sujet. Croisé au hasard d’une soirée (en même temps que Roucaute, dont on a parlé la semaine dernière), il nous a laissé son disque, que nous avons donc écouté avec un a priori favorable.

A première vue, c’est une chanson intimiste, qui préfère la douceur au cri, la rêverie au rentre-dedans, l’esquisse prometteuse au grand œuvre achevé sans mystère. Laurent Berger chante avec un délicieux accent que l’on ne saurait définir (renseignement pris, il est isérois), donnant une musicalité particulière à sa voix, dont la distinction tranche avec le tout-venant débraillé. Ses chansons courtes (une seule dépasse 3 minutes) sont a priori fort simples… mais la subtilité de l’interprétation et l’écriture serrée, poétisant des sentiments complexes, irréductibles à l’esperanto tubesque, confèrent à l’ensemble une grande profondeur. C’est un piano-voix intégral avec Nathalie Fortin, accompagnatrice de tant d’artistes de qualité – dans la même famille, citons Christian Camerlynck (remercié dans le livret), Francesca Solleville ou Gérard Pierron, avec lequel elle a écrit des musiques sur les derniers textes d’Allain Leprest. Questionné sur ses influences, Laurent Berger nous a justement cité Voce A Mano (basé sur la voix de Leprest et l’accordéon de Richard Galliano) comme exemple de dialogue fécond entre chanteur et instrumentiste. Son album ressemble lui aussi plus à une captation "live" qu’à une création multi-retouchée en studio. On y sent à la fois la chaleur de l’interaction entre interprète et musicienne – mais aussi une nudité due aux arrangements qui n’en font pas des tonnes, enrobent sans épaissir, préférant souligner que surligner.

Laurent Berger, grand et beau gaillard dans la vie, n’a pas peur de donner à entendre une chanson sensible, ce que d’aucuns nommeraient sa "part féminine". De fait, les titres les plus marquants sont peut-être ceux où il se met dans la peau – ou du côté – des femmes, en opposition au désir masculin ("Deux hommes fument sur la rive", "L’épouse d’un grand homme") ou aux débordements d’amants impossibles à tenir (réel dans "Elle t’attend", métaphorique chez "La Gardienne d’un fleuve"). L’amour semble tantôt inquiet ("Le Faux pas"), tantôt épanoui ("Amoureux"), loin de toute certitude. Son regard est plein d’empathie, ouvert à la beauté des petites choses ("Dans un autre quartier / Quelques rues en chantier / C’est déjà un voyage" - "Aller Voir") mais questionnant les grands idéaux ("Le veilleur du désert / Face aux dieux face au vide / Qu’est-ce donc qui le guide ?" - "Le Marcheur du désert"). Sa douceur se lézarde parfois d’humeurs gamines ("Tout est permis", où un garnement respectueux se laisse enfin aller quand son pater se retrouve au chômage) ou de traits ironiques : clochardisé "Sous un pont", il raille sa situation – forcément intermittente, forcément précaire – d’artiste en marge, prophétisant sa fin (faim ?) et réaffirmant néanmoins son credo ("J’poursuivrai mes chansons, la rime est ma raison") avec citation musicale de circonstance ("Sous le ciel de Paris")… avant de "s’offrir au fleuve" et boucler la boucle en rejoignant – peut-être – la naïade contemplée ailleurs par des hommes sur une rive. Ces chansons où l’élément liquide est si présent et vivace forment sans doute le cœur secret (et féminin) du disque, rendu encore plus vibrant par la belle rondeur des notes au piano.

L’album est paradoxal : à la fois doux et accueillant, il ne se laisse pourtant pas aisément apprivoiser. Il faut creuser, l’écouter sans relâche pour garder en tête ces mélodies en demies teintes, un peu évanescentes. Le disque a le défaut de ses qualités : à cause du piano-voix ascétique et de la qualité égale des chansons (très peu de ratés), il n’y a pas à proprement parler de "dramaturgie" dans la succession des titres, de creux mettant en valeur les sommets. Paradoxe des disques trop "ronds" et cohérents, enfilant les perles sans chercher la variété : une beauté unie, que certains pourraient trouver monotone ou minimaliste – même s’il y a mille nuances dans ce mouchoir de poche, et que le ruisseau apparemment tranquille est secoué de remous en profondeur. Une fois acclimaté, les chansons révèlent leur suc à l’auditeur, les textes acquièrent un contour plus net, les mélodies une forme plus précise – mais il faut insister, le disque est exigeant et se mérite. Laurent Berger a intitulé son spectacle "Chansons de l’instant", et cela résume bien notre sentiment : une chanson qui séduit au premier abord, mais ne se laisse pas facilement retenir, dans tous les sens du mot. C’est un mal (les programmateurs n’aiment pas ces morceaux qu’il faut réécouter plusieurs fois avant de mémoriser) pour un bien (liberté artistique, sans attaches ni gimmicks). A l’image de cette chanson poétique, intransigeante et belle – mais éternellement condamnée au confidentiel.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

Laurent Berger en concert à Théâtre de Ménilmontant (samedi 28 mars 2015)
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En savoir plus :
Le site officiel de Laurent Berger
Le Facebook de Laurent Berger


Nicolas Brulebois         
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