Comédie dramatique de Dea Loher, mise en scène de Denis Marleau, avec Claude Mathieu, Catherine Sauval, Cécile Brune, Bakary Sangaré, Gilles David, Georgia Scalliet, Nâzim Boudjenah, Danièle Lebrun, Louis Arene, Pierre Hancisse, Sébastien Pouderoux et Pauline Méreuze.
L’entrée au répertoire d’un texte, choisi, traduit par le directeur du Bureau des lecteurs, Laurent Muhleisen, qui en assure aussi la dramaturgie, constitue un évènement. Le Français, conservatoire, devient parfois laboratoire contemporain de la littérature théâtrale et remplit ainsi son autre mission.
Dea Loher est une quinquagénaire, native de l’Allemagne de l’Ouest, enfant naturel de l’Université et de sa vision de l’écriture, auteur de deux dizaines de pièces, de nouvelles et d’un roman.
Son univers transpire la morbidité germanique où suicidés, employés de morgue lavant les cadavres avec tendresse, infirmes à amputer, foule sanguinaire esquissent ensemble une danse macabre qui singe la ronde de la vie, saisissant puits d’angoisse et de néant.
L’histoire, prétexte, met en scène deux clandestins qui assistent, passifs, à la noyade d’une jeune femme, un couple horrible composé d’une mégère tapant, avec un livre, sur le crâne impassible de son mari mutique, une démente cherchant la conversation, une vieille communiste qui terrorise ses enfants, une aveugle qui pratique l’effeuillage dans un bastringue etc...
Ces personnages de bande dessinée expressionniste - on y songe souvent - ébauchent une philosophie de l’existence, où la mort, omniprésente, provoque des échappées vitales, des soubresauts, des saccades nerveuses. Cela serait ça la vie, aujourd’hui.
Le texte de Dea Loher dissèque le non-sens des motivations humaines contemporaines, tout idéal tué. Et pourtant, ils tournent ! Au service de cette création, le metteur en scène canadien-français Denis Marleau a conçu une scénographie animée d’images, des personnages habillés par Jean Paul Gaultier.
Les comédiens sont brillants, attentifs, concentrés : Danièle Lebrun, sublime par habitude, Georgia Scalliet, émouvante, Nazim Boudjenah, fragile et conscient, Cécile Brune, la harpie livresque, Louis Arène et toute la troupe osent le péril de ce texte.
Un pari de risque et une contemplation crue : "Innocence" ?