Réalisé par Roy Andersson. Suède/Norvège/France/Allemagne. Comédie dramatique. 1h40 (Sortie le 29 avril 2015). Avec Holger Andersson, Nils Westblom, Charlotta Larsson, Viktor Gyllenbergn, Lotti Törnros, Jonas Gerholm, Ola Stensson, Oscar Salomonsson et Roger Olsen Likvern.
Les Transalpins ne s'y sont pas trompés : ce pigeon valait bien un Lion d'or. Le trop rare Roy Andersson, cinq long-métrages en 45 ans, est sans conteste l'un des plus singuliers réalisateurs de l'ère cinématographique moderne.
Vague héritier du Bunuel de "Viridiana" ou du "Fantôme de la liberté", possible Tati triste et nordique, Andersson est porteur d'un univers vraiment à lui.
Des personnages habillés souvent dans des teintes oscillant entre le grisâtre et le bleuâtre, la plupart du temps arborant des visages plâtreux, légèrement farineux comme des clowns blancs tristes, évoluent dans des décors savamment géométriques et ne contenant que quelques éléments signifiants de médiocrité.
Adepte du plan fixe, pratiquant du plan séquence, Andersson est avare de dialogues et travaille la bande-son avec une grande précision.
C'est dire qu'on est face à un formaliste comme il y en a peu. Comme cette forme ne tourne jamais en rond et à vide, on n'hésitera pas à franchir le pas : Roy Andersson est un des seuls stylistes que le dit septième art ait connu. Il sculpte l'espace et le temps, il peint des situations, il raconte l'humanité.
Dans son "Pigeon", il a senti le besoin d'être un peu plus "clair" que dans ses précédentes grandes œuvres, "Chansons du second étage " (2000), "Nous les vivants" (2007). Son principe habituel, suivre une infinité de personnages dont les vies banales se croisent ou se décroisent, fait place - mais pas totalement - à la mise en avant de deux marchands ambulants de farces et attrapes.
Des vendeurs minimalistes qui n'ont rien à vendre que trois misérables produits, des dents de vampire, un "sac à rires" et un masque hideux. Pitoyables, malheureux, à bout de course, ils traversent l'univers cohérent de Roy Andersson pour être témoins des plus singulières anomalies qui l'ébranlent.
Ils seront ainsi présents quand les troupes à cheval du roi Charles XII dans un bistro suédois contemporain. Belle séquence où l'on verra s'effondrer en un aller glorieux et en un retour pathétique le rêve de la grande Suède vaincue par l'ennemi russe. Ils ne seront pas loin quand quelqu'un racontera l'histoire de "Lotta la boîteuse" dans une taverne stylisée ou quand Roy Andersson imaginera une bien curieuse machine coloniale, une monstrueuse machine à "génocider" les peuples noirs...
On pourra avoir une petite réticence devant ses deux personnages reprenant le vieux poncif du "clown triste", mais c'est peut-être le prix à payer pour qu'un plus grand nombre de spectateurs entre dans ce cinéma hors du commun. Car "Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence" de Roy Andersson est tout simplement un film comme on en a peu vu et comme il risque de ne pas y en avoir beaucoup d'autres à voir.
Les yeux écarquillés, on sera saisi par l'imagination de Roy Andersson, par sa tranquille assurance à proclamer que le cinéma peut être ce qu'on a envie d'en faire, qu'il peut prendre des formes inouïes et inédites. Roy Andersson réveille Méliès.
Oui, le cinéma peut être une lanterne magique, surtout si, comme le génial Suédois, elle sert à raconter la grande histoire du monde, tissu d'horreurs et de peines dans lequel se cache parfois un petit moment éphémère de grâce ineffable.
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