Comédie dramatique de Lars Norén, mise en scène de Cyril le Grix, avec Xavier Bazin, Thibaut Corrion, Maud Imbert et Carole Schaal.
Après Ibsen, Strindberg, pouvait-on aller encore plus loin dans la sauvagerie conjugale et le huis-clos douillet qui exsude la haine ?
Un autre scandinave, Lars Norén, jeune dément sauvé par l’écriture, devenu notable et directeur de la "Comédie-Française des glaces", a creusé plus profond le sillon fangeux.
Un appartement confortable, morbide, à table basse et canapé obligatoires. Frank, colosse aryen, apostrophe, un soir de plus, sa vénéneuse épouse, Katarina, qui le torture fidèlement : comment faire mal, percer le pus, passer cette soirée paisible, dans un pays horriblement civilisé, en dépeçant et éviscérant assez pour retrouver sa nature primitive ?
Heureusement, il y a les voisins, un homme-chien, Tomas et Jenna sa femme, une jeune mère hystérique, victimes inférieures potentielles de bourreaux raffinés et complices. Mais, c’est grande erreur que de sous-estimer l’adversaire...
Dans "Démons", Lars Norén explore le monde souterrain et grouillant des frustrations du "politiquement correct", de la bonne image mensongère, de l’égalitarisme des sexes, de l’enfoui qui pourrit en violence, de l’amour étouffé par les postures "appropriées".
Lorsque le verrou saute, la profanation, la mutilation, la vengeance en une fois, éclaboussent le décor Ikea qui redevient grotte rupestre.
Grand ordonnateur du chaos, Cyril Le Grix, metteur en scène jeune et expérimenté, a poussé au paroxysme le désir, serpent mal inhumé, et choisi des comédiens parfaitement distribués.
Thomas Corrion, excellent, est un jeune mari, qui doit boire pour exister, livré à une Carole Schaal dévastatrice, aimante pourtant, incapable de s’offrir par peur d’être "vue".
Xavier Bazin offre la savoureuse métamorphose d’un papa-poule en coq féroce et sanguinaire, humain, brave pauvre type qui redevient homme, remarquable comédien.
Quant à Maud Imbert, dont l’exceptionnelle qualité de sensibilité surprend toujours, elle incarne cette jeune femme abandonnée à l’ennui, la procréation et la veille, totalement bouleversante, ancienne gentille que la gentillesse a usée.
Vivent les meubles renversés, les salons suédois en désordre, les vrais sentiments restaurés, la déroute des autres, à se mordre ! |