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Le Jongleur  (MT&G Production)  mai 2015

Coup de cœur de ces derniers mois : Marie Volta, auteur-compositrice-interprète, mais aussi écrivain, poétesse, et sans doute bien d’autres choses encore… Croisée lors d’un salon du livre à Montreuil, elle nous a d’abord bluffé sans musique : simplement en disant quelques vers (de son ami Eric Dubois, publié chez François Bon – Publie.net, Publie-Papier – ou L’Harmattan). Sa présence, l’autorité mêlée de sensibilité avec laquelle elle a fait briller ces mots (et, avouons-le franchement, son charme généreux de belle brune dans la force de l’âge), nous ont donné envie, en rentrant, de vérifier si sa chanson tenait les promesses de cette première rencontre.

Le béguin s’est confirmé à l’écoute de l’album Paris-Bamako, paru cette année (et sur lequel nous reviendrons longuement). S’est poursuivi avec l’acquisition de Chanson de toile, publié initialement en 2005 et réédité ces jours-ci en MP3. Révélé durable, enfin, avec la découverte du Jongleur, CD de 1997 qui connaît lui aussi une nouvelle jeunesse numérique. Si Paris-Bamako est sans conteste son meilleur disque – le plus diversifié, le plus aventureux, celui où la chanson rejoint enfin cette "poésie chantée" chère à Jacques Bertin et à nos cœurs – on ne boude pas son plaisir à l’écoute des deux autres, qui contiennent chacun de très belles choses.

Le Jongleur, donc. Sur la pochette, Marie Volta (qui avait alors pour pseudonyme Miquette) apparaît en grande fille saine, souriante sous des feux de la rampe aux allures de ciel étoilé. Dans un récent programme de concert (3 avril dernier), le Forum Léo Ferré décrivait ainsi l’artiste : "Une voix chaude et souple, sans ironie et sans pathos". On n’est pas forcément friand des chanteurs – et encore moins des chanteuses – "à voix". Mais lorsqu’une vocaliste dotée d’un bel organe sait en jouer "sans pathos", sobrement, et s’avère en outre bon auteur-compositrice, on ne fait plus la fine bouche. Marie Volta chante vraiment, ce ne sont pas des textes simplement fredonnés sur de belles suites d’accords, mais des mélodies qui portent (et parfois transfigurent) les mots. Ce type d’esthétique a souvent pour défaut de privilégier la musicalité au détriment du sens ou de la prosodie. Pas de ça ici : l’auteur-interprète a frayé avec la littérature, ce qui donne à sa chanson la particularité d’être à la fois "à voix" ET "à textes".

L’écriture proprement dite est d’une conception classique, intemporelle – que les mauvaises langues pourraient dire "désuète". Marie Volta a été à l’école du bon tonton Georges (elle fut plusieurs années l’organisatrice du festival "Intégrale Brassens" à Paris) et en a de toute évidence gardé, outre le goût d’une chanson solidement charpentée – mais aux coutures plus fines qu’il n’y paraît – une défiance envers ce qui pourrait sonner "à la mode" (et s’avérer démodé quelques temps plus tard). Elle se pose donc, sur ce premier disque, en héritière actuelle d’une tradition ancienne, veine qui a connu son âge d’or dans les cabarets de la deuxième moitié des années 50 (et début 60), entre Patachou, Michèle Arnaud – ou pour rester dans les brunes imposantes, les plus modernes Barbara et Anne Sylvestre. Avec en outre, sur certains titres, un cousinage "chanson réaliste", appétence pour la goualante de rue à l’ambiance rétro assumée.

"Sans ironie", c’est aussi ce qui nous plaît : ces chansons peuvent être tristes ou gaies, pianoter sur le vaste éventail des émotions sans jamais tomber dans ce travers d’époque qui – depuis Gainsbourg – érige le second degré cynique en parangon de modernité. Il est donc question ici d’amour heureux (souvent) ou malheureux (plus rarement), d’images d’Epinal (un jongleur forcément poétique, un clochard évidemment céleste) qui prennent vie grâce à cette voix claire, chaude, bien timbrée, si enthousiaste qu’elle enthousiasmerait même le plus blasé. La richesse des mélodies confère à l’ensemble une impression de variété : le piano-voix intégral, dont on a déploré sur d’autres disques la monotonie, cette fois-ci nous enchante. L’accompagnement est assuré par Michel Gaches, qui met la main à la pâte et signe cinq musiques sur douze chansons.

Dans le détail, cela donne : "Chez toi", mélodie si évidente qu’elle en devient inoubliable (elle sera reprise sur le disque suivant, avec une orchestration lorgnant sur le swing manouche), voit une sentimentale au "cœur si lourd", délaissée par des amis trop légers, frapper à la porte d’un ancien amour pour quémander – sans honte – "quelques mots qui réconcilient avec la vie". Marie Volta endosse ce rôle avec un premier degré total, et ça marche : on donnerait cher pour accueillir cette pleureuse si amène – et voir revenir ainsi une de nos ex (on peut toujours rêver).

"Le Trottoir d’en face" bénéficie lui aussi d’une musique qui se loge instantanément dans la cervelle, pour conter la fable étrange – vraie-fausse chanson réaliste – d’une fille faisant "le trottoir" autrement que ce que l’on entend d’ordinaire par-là… c’est-à-dire en le dessinant et mettant en scène : art de rue magique, qui mène ses "clients" au ciel (bien au-delà du septième), connaître un autre genre d’extase – que l’on imagine esthétique et sensorielle, bien plus que sexuelle. Le chant va crescendo, culminant sur la phrase "c’était son cœur qui rugissait / c’était son cœur qui explosait" : la forme rejoint le fond, le "lancer de voix" acrobatique est totalement justifié… et l’on se dit que la virtuosité, utilisée avec intelligence, a quand même du bon.

Autre hymne à la joie, sur une musique exubérante de Michel Gaches (ponctuée de "Tralala" de plus en plus virevoltants à mesure que s’emballent les mesures), celle du gamin des rues à qui l’on offre pour la première fois... un "Livre" (titre de la chanson). Ce qui aurait pu être une pénible défense et illustration des vertus éducatives de la lecture sur les petits délinquants, est traité avec humour – et une bonne humeur communicative. Quelques rues plus loin, "Visite guidée" brode sur l’idée d’un flirt touristique dans Paris by night (dont la narratrice, qui n’a d’yeux que pour son guide, ne verra rien). "Heureusement il pleut" fait contre mauvaise fortune bon cœur, estimant que l’intempérie a du bon, qui offre une pause dans un amour accaparant. Et "Ma vie sans toi" voit un monsieur bien sous tous rapports crever (sur un air de tango) les coutures de son trop sérieux costume, en découvrant l’amour et la joie qui l’accompagne.

L’album a beau être galvanisant, il ménage aussi sa part de drame : "Robespierre", qui frôle le cliché mélo (un SDF, une référence révolutionnaire, un ange dans le métro, n’en jetez plus !), y échappe grâce à son écriture chiadée et un passage parlé – où la narratrice fait la manche – déchirant. [Note : la station Robespierre est sur la ligne de métro allant à Montreuil… ville souvent citée dans ses textes, topographie récurrente de son œuvre]. Mais le sommet dramatique du disque, et peut-être sa plus grande chanson (en même temps que la plus longue) s’intitule "Nanette" : film mental, en caméra subjective, d’un combattant embusqué dans un sous-bois s’apprêtant à tirer sur l’ennemi qui ne se doute de rien – mais qu’un éclair de conscience, prenant le visage de sa petite fille, ébranle en suggérant que cet homme à tuer a peut-être "aussi un enfant qui l’attend"… Là, on quitte le riant pavé parisien pour poser, avec une économie de moyens remarquable, un questionnement universel – faut-il être salaud avec les salauds, ou voir l’humain derrière l’ennemi ? [On notera également que cette chanson semble renvoyer au roman de la même Marie Volta, "La Nuit du poissonnier", où il est question d’une autre Nanette, sur fond de guerre d’Espagne et de franquisme. On aime les touche-à-tout qui arrivent à rester cohérents, et tissent des passerelles thématiques entre les différentes disciplines abordées].

La seule faute de goût du disque, à nos yeux, est l’appropriation d’un texte de Robert Desnos, "Complainte des caleçons", déjà interprété jadis par Ray Ventura et ses cancrelats. Pour une fois, Marie Volta, prise d’un enthousiasme excessif, s’y laisse aller à des vocalises criardes qui cassent un brin les oreilles – quant au texte proprement dit, il fait "chansonnier" dans le mauvais sens (vieillot) du terme, caricatural, limite pouêt-pouêt… et l’on repense à Bertin, qui écrivait (dans son excellent livre Reviens, Draïssi !, éditions Le Condottiere, 2006) que si "Robert le diable" (le surnom de Desnos) était un bon poète, c’était malheureusement un piètre auteur de chansons. Mais c’est l’exception qui confirme la règle. Beaucoup plus réussie, "Le Jongleur", qui donne son titre au CD, démarre par une partie de piano que l’on croirait sortie d’un Debussy ("La Plus que lente" ?), tandis que le premier vers nous renvoie, par association d’idée rêveuse, à "Il patinait merveilleusement" (Verlaine). La chanson flirte ouvertement avec la poésie, comme le jongleur avec la magie – illusionniste des sentiments faisant voler "les cheveux d’une fiancée qui aurait bu aux éthers de la galaxie" –, mêlant gravité et plaisir, sans jamais choisir.

Au final, c’est un album de chanson "classique", mais pas académique. Gai sans être nunuche, et solennel (quand il le faut) sans être plombé. Sous ses faux airs de chansons de rue battant un pavé parisien de carte postale, il contient assez de personnalité et d’intelligence pour ne pas succomber aux clichés. La grande fille saine de la couverture, qui sourit à belles dents, sait aussi pleurer, réfléchir… et même évoquer des sujets qui fâchent – sans jamais se départir de cette santé et ce charme généreux qui nous ont un jour interpellé, dans un salon littéraire en banlieue.

 

A lire aussi sur Froggy's Delight :

La chronique de l'album Chanson de toile de Marie Volta

En savoir plus :
Le site officiel de Marie Volta


Nicolas Brulebois         
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