C’est par une chaude soirée parisienne du mois d’août que Sébastien Lalanne et Charles Clément nous ont fait l’honneur d’une visite afin de nous parler de la série Hero Corp qui, après 4 saisons, cherche un complément de financement auprès de son public afin de boucler la saison 5 et mettre un terme à cette série pour le moins originale et atypique.
Si vous ne connaissez pas encore Hero Corp et avant que vous ayez une envie irrépressible de rattraper votre retard en regardant les 4 précédentes saisons, voici ce que vous avez manqué :
Hero Corp, en gros, c’est une série de super héros. Mais pas des super héros Marvel ou DC Comics. Pas une histoire de mecs invincibles avec des super pouvoirs auxquels rien, ni personne ne résiste. Pas une série avec des effets spéciaux tape-à-l’oeil. Non, c’est une série française qui parle de super héros sensibles, émouvants et fragiles. Des super héros à la retraite même dont les super pouvoirs ne sont plus ce qu’ils étaient et qui, par la force des choses, vont devoir se remettre au turbin.
Qui dit super héros dit aussi super vilains et là encore, il y a du beau linge. Du super vilains un peu sur le retour, pas toujours à la hauteur de leurs ambitions mais qui ,comme les super héros, tentent de se refaire une santé. Charles Clément en Eraste est un exemple parfait de super vilain dur et fragile à la fois.
Cette série créée par Simon Astier (Kaamelott, Off Prime), rapidement rejoint par Alban Lenoir (Un Français, Antigang, Brice de Nice 3) à la production avec Astier et Sébastien Lalanne (Wriggles, Off Prime, Antigang) à la direction artistique est donc partie d’un pari un peu fou, faire une série de super héros mais à la française. Et ça marche.
Fort de leur talents et bientôt rejoints par une pléiade d’acteurs, les trois compères de départ qui jouent également dans la séries ont laissé parler leur imagination et leurs envies pour donner vie à cet univers qui oscille entre réalité ordinaire et un monde sunaturel déjanté. C’est drôle, émouvant, intelligent et comme le souligne Sébastien Lalanne, la série se présente comme une sorte de voyage initiatique, de l’enfance à la vieillesse au fil des saisons.
Mais revenons au sujet principal, le financement participatif devenu nécessaire pour boucler un budget déjà limité bien que soutenu par France 4 et la société de production Calt (Kaamelott, Caméra Café…). Pourtant, Sébastien Lalanne souligne combien il a été difficile d’en arriver là pour Simon Astier et la bande, répugnant à solliciter leurs fans pourtant fidèles et nombreux, afin de donner à cette dernière saison une fin digne de ce nom.
Cette interview s’étant déroulée pendant plus de 2 heures, elle sera publiée comme la série dont elle parle, en plusieurs épisodes dont voici le premier.
Après la sortie des 4 premières saisons, vous êtes confrontés à un souci budgétaire et la nécessité de faire un appel de fond. Pourquoi ?
Sébastien Lalanne : Un de nos diffuseurs qui, dans l’absolu ne représentait pas un budget très gros mais qui nous permettait un équilibre, s’est retiré. Comme on est dans une économie un peu fragile, on s’est retrouvé avec un gros trou.
Charles Clément : Est-on considéré comme une série Low Cost ?
Sébastien Lalanne : Non, je ne crois pas. Mais le travail de toute façon reste le même pour nous, donc par rapport au budget que l’on a, c’est effectivement low cost dans ce sens. Et puis Simon Astier est quelqu’un de très exigeant, il ne s’est jamais résigné à faire une série à la hauteur de ce qu’on lui donnait. Il a toujours été ambitieux. C’est quelqu’un qui est très à cheval sur la fiction, sur la notion de scénario et il ne veut pas brader cela
Cela veut dire qu’en terme de production, c’est difficile de faire des concessions même si bien sûr on en fait. Des scènes, des décors, des personnages sont supprimés. On est obligé mais cela se fait en général sur n’importe quelle fiction, low cost ou pas. En tout cas, on essaie de ne pas faire ces concessions en amont.
Ce n’est pas d’autant plus frustrant de ne pas les faire en amont et de couper une fois tourné ?
Sébastien Lalanne : C’est le principe du métier, je ne connais pas de réalisateur qui n’en fasse pas.
Le ratio budget / éléments coupés est du coup plus élevé que pour une série à gros budget, non ?
Sébastien Lalanne : La série est quand même prévue pour son budget. On ne va pas se mettre à faire des poursuites d’hélicoptères ou des courses de voitures. Peut-être que si on avait les moyens, on le ferait mais ce n’est pas le cas. Simon est conscient de la préparation de l’objet puisqu’il écrit jusqu’au tournage. Il sait très bien que s'il écrit un truc chiant à faire, au final c’est lui qui va devoir le filmer. Il fait attention même s’il se fait avoir chaque année quand même.
Revenons à cet appel de fond. Je suppose que quand vous l’avez lancé, vous aviez déjà une bonne idée que cela allait marcher du fait de vos fans qui semblent très fidèles ?
Sébastien Lalanne : Non, on ne peut jamais savoir. Même si les Hero Copains sont indéfectibles, présents…
Charles Clément : C’est incroyable, ils font des apéros, se parlent sur Facebook. C’est impressionnant cette solidarité entre eux autour de cette série. Le mot Corp a un vrai sens. Cela se voit en plus, ils sont vraiment à la hauteur de ce qui se dit sur les réseaux sociaux. Et ce n’est pas 3 personnes, ils sont nombreux. Il y a eu des mariages, des enfants.
On m’a demandé pour un anniversaire de faire un mot pour la fiancé d'un Hero Copain en tant que Eraste. Et bien sûr je l’ai fait car ils se sont rencontrés grâce à Hero Corp. Je ne savais pas que cela pouvait exister des choses comme cela. On voit cela beaucoup au Japon. Les gens s’habillent avec les costumes de la série, etc. Il y a une vraie communauté, ils s’entraident. Cela peut être du co-voiturage, de la garde d’enfants que sais-je, c’est vraiment une communauté.
Pour revenir à la saison 5, elle se serait faite de toute façon ?
Sébastien Lalanne : Oui, bien sûr !
Les paniers sont en plus très intéressants. Mais le ratio entre l’argent consacré aux paniers (polo Hero Corp pour seulement 25 euros de don par exemple, mais aussi les costumes des personnages, etc.) et les dons est important, il me semble. Il ne reste pas tant que cela pour financer le tournage…
Sébastien Lalanne : Ah ben oui, on perd beaucoup d’argent dans les paniers bien sûr. On a toujours été très mal à l’aise avec ce truc là. Ce n’est quand même pas très juste de faire payer les gens pour qu’ils aient de la fiction dans leur TV.
Charles Clément : Ils paient déjà la redevance...
Sébastien Lalanne : On ne voulait vraiment pas faire cela et Simon Astier était particulièrement contre mais là… c’était pour la fin, c’était pour dire au revoir, donc tout ce que l’on va collecter se verra à l’écran. Cela ne changera rien pour nous, on sera toujours mal payé (rires). Et puis il fallait pour le final "upgrader" le truc et comme il manquait quelqu’un (ndlr : en terme de budget), on est parti là-dessus.
Justement, tu parles d’une fin. Est-ce que dès le départ, Hero Corp a été écrit ou du moins pensé pour ces 5 saisons et une histoire déjà dessinée au départ ou bien est-ce que chaque saison est une histoire en soit sans assurance qu’il y ait une suite ?
Sébastien Lalanne : En fait, c’est écrit au fur et à mesure avec les idées que Simon peut avoir en tête mais la trajectoire globale est effectivement pensée comme un tout à travers les saisons. Mais la première saison a été écrite pour elle-même dans l’espoir qu’il y en ait une deuxième. Cela a été un tel boulot de tout fabriquer : l’univers, les personnages, la direction artistique, le ton. Toute l’identité, en dehors du scénario, c’est énorme !
Il y a aussi des contraintes techniques même si cela ne se voit pas forcément. Par exemple, on n’a pas de machino donc il faut penser au fait que quand on va tourner, il n’y aura personne pour bouger le matériel.
Chacun met la main à la pâte ?
Sébastien Lalanne : Oui, l’équipe technique fait de toute façon partie intégrante du projet. C’est la colonne vertébrale du truc.
Charles Clément : Si on doit remonter les manches, on remonte les manches. Alors bien sûr, Simon privilégie chaque corps de métier.
Sébastien Lalanne : En tout cas, à chaque saison, j’ai rangé des câbles, porté du matériel ou rangé des pieds de micro.
Charles Clément : Toi, je t’ai vu partout de toute façon. Tu joues, tu diriges, tu conseilles les potes, tu fais directeur d’acteurs. C’est Octopus ! Il n'est pas directeur artistique pour rien. C’est vrai que cela te fait beaucoup de casquettes à toi et aux autres qui sont également très impliqués en amont.
Sébastien Lalanne : C’est vrai qu’on doit être partout. Mais pour Simon, le but c’est qu’il ait préparé un maximum de choses en amont. Il passe son temps à régler des trucs en permanence. Et puis à force, on sait ce qu’il veut donc ça permet d’avancer assez vite.
Quel est ton rôle, Sébastien, là-dedans ?
Charles Clément : Conseiller influent, c’est vraiment le directeur artistique.
Sébastien Lalanne : Cela s’est fait au fur et à mesure. Je suis arrivé à la création. On avait travaillé ensemble sur Off Prime. L’idée originale de Hero Corp est d'Alban et de Simon mais Alban n'avait pas forcément l’envie de s’investir dans la série à ce moment là. Simon m’a proposé de faire cela à deux. Cela a pris des mois, on se voyait tous les jours, des jours entiers, à inventer, une arche, des personnages, une ambiance. Et puis commencer à écrire les épisodes et quand ce travail de découpage en épisodes est arrivé, Simon est parti sur l’écriture, avec Xavier Mathieu sur la première saison et maintenant avec Claire.
Au moment du tournage, on a fait le casting à deux. Lui s’est occupé des axes de la caméras, des plans car c’est lui le monteur. On a un chef monteur (Nicolas Garnier) quand même.
Charles Clément : C’est un sacré atout que Simon soit monteur car il va très vite du coup. On est à 12 minutes utiles par jour de tournage. C’est très bien découpé, il n”y a pas de déchet. Sur les grosses journées, tu es fatigué mais c’est de la bonne fatigue. On n’a pas perdu de temps. C’est un sacré avantage quand tu es réalisateur d’être également monteur.
Sébastien Lalanne : Et Nicolas fait vraiment un super travail derrière.
Concernant le casting, on a parfois l’impression que c’est une bande de potes au départ.
Sébastien Lalanne : Pas que. Simon en connaissait pas mal au départ, j’en ai proposé, Alban aussi et ça s’est fait comme cela. Et Estelle Ratier s’occupait du casting mais comme on ne déléguait pas forcément beaucoup, sa position était compliquée. Mais comme Simon sait ce qu’il veut. C’est difficile de dire ce qu’on veut, c’est plus simple de dire ce que l’on ne veut pas, en fait. En tout cas, ce n’était que des belles rencontres.
Et les acteurs sont fidèles puisqu’il sont quasi encore tous là.
Sébastien Lalanne : Oui, car on a monté cela plus comme une troupe de théâtre que comme un casting TV. Une troupe avec les comédiens, les techniciens…
Charles Clément : Simon fait très attention à la qualité humaine des gens. Il ne veut pas s’embarasser de fioritures. Cela m’a touché. Et cela se sent que ce sont des gens investis. C’est comme un skipper qui prépare son déjeuner en mer. Quand tu pars en bateau, il faut savoir ce que tu emmènes.
Et il faut des gens qui sont aussi capables d’écouter, qui ne se vexent pas quand on leur dit : "non, ne fais pas cela". Des gens avec une maturité dans leur propre univers pour adhérer à celui de Simon. C’est un mec qui sait ce qu’il veut, cela fait tellement plaisir.
Sébastien Lalanne : C’est sûr que ce n’est pas un endroit pour frimer, Hero Corp. On est toujours dans les champs avec de la boue sur les pompes.
Charles Clément : On a fait de -10°C jusqu’à +37°C, mais tu n'es pas là pour raler. Si tu adhères, c’est pour de bon.
Sébastien Lalanne : Il y a aussi un plaisir à accueillir de nouveaux arrivants, parce que c’est toujours difficile d’arriver au milieu de ça. Tu connais personne et te retrouves face à une troupe d’acteurs et de techniciens qui se connaissent par coeur. Il arrive plus chez des copains et on essaie de l’accueillir le mieux possible pour qu’il se sente chez lui et en général, ça se passe très bien.
Charles Clément : Oui, c’est vrai mais l’exigence est au rendez-vous, on attend de vous des résultats.
Sébastien Lalanne : Oui c’est ça. On peut raconter des blagues au resto mais sur le plateau, il faut savoir son texte.
Sébastien, le fait que tu te retrouves acteur était prévu au départ lors du travail sur la série ?
Sébastien Lalanne : Oui ! C’était un cadeau de la part de Simon. On a bossé, un personnage s’est dessiné et il était pour moi.
Charles Clément : Et quel personnage ! Pas des moindres.
Ce n’est pas forcément une évidence ?
Sébastien Lalanne : Non, en même temps on est comédien et c’est normal que l’on ait des rôles dedans, je crois. Mais si je n’avais pas eu de rôle, ben tant pis.
Charles Clément : De mon côté, j’ai fait 3 castings avant d’intégrer l’équipe. Simon m’avait dit : "tu es intéressant mais je n’ai pas de rôle pour toi". Et ça, il faut l’accepter. Il ne fait pas de concession là-dessus. Mais quand tu as un rôle, c’est sur mesure.
Je pense que je fais partie d’un truc culte. Ce n’est pas donné à tout le monde. Après tu fais des super pièces, des super projets, avec de grands réalisateurs ou pas, tu fais de la pub pour le jambon. Mais là, tu rentres dans une histoire. C’est comme Froggy’s Delight finalement. Tu n'es pas là dans un truc lambda.
Tu es arrivé dans la saison 2…
Charles Clément : Oui, à la fin de la saison 2. On m’a dit que j’étais la taupe, je ne savais pas pourquoi et après cela s’est dessiné. Et puis dans la saison 3, Simon m’a dit : "tu seras le Fillon de l’histoire", ça m’a marqué (rires).
Tu as un rôle de super vilains. Ce n’est pas forcément évident dans une série de super héros de faire ce contrepoids.
Charles Clément : Oui mais c’est super intéressant. Comme me disait un pote, il n’y aurait pas de Star Wars sans Dark Vador. Mais Simon a pris du temps à dessiner mon personnage. Moi je joue un peu le clown blanc face aux Auguste. Parfois, j’avais l’impression de ne pas jouer. Et Simon me disait : "si si tu joues, sois comme tu es et dis ton texte".
Sébastien Lalanne : C’est très drôle de voir un mec saoulé par les cons. J’adore. Ma fille est morte de rire quand elle voit des gars qui cassent tout et l’autre se cache les yeux ou se tape le front avec la main.
Charles Clément : Et c’est un régal à jouer. Tout en retenue comme cela. C’est sûr que c’est différent par rapport à ce que j’ai pu faire avant (Ndlr : il a joué des sketches des Monty Python en français, mais également dans des pièces classiques comme Roméo et Juliette). Effectivement, il faut faire confiance à l’équipe et au réalisateur. Tu vois les autres faire les Auguste et toi, tu es là à les regarder et tu te dis : "je vais tous les tuer".
Et je vois les fans qui te disent des répliques, ça va loin. Il y en a qui s’en font des t-shirts, c’est impressionnant. Au Comic Con, j’ai pris l’ampleur de ça, tu es sur une scène devant 13.000 personnes…
Sébastien Lalanne : C’est la force du geek, c’est une race moderne géniale. C’est sa culture, il se l’attribue, c’est à lui et il ne faut pas lui chier dans les bottes, il ne faut pas lui servir de la merde. Un fan de Star Wars, quand tu commences à lui servir de la soupe, ça part mal.
Charles Clément : Ils sont intransigeants.
Ils sont aussi fidèles que critiques ?
Charles Clément et Sébastien Lalanne : Ah oui, bien sûr !
Sébastien Lalanne : C’est un vrai cadeau, c’est de l’amour, quand on est exigent c’est qu’on est éveillé, et quand on a la chance d’être pris dans leur amour, c’est classe. Evidemment, ils peuvent être durs mais même s’ils sont exigents, ils sont d’une tendresse et d’une politesse incroyable. Si le monde pouvait être rempli d’Hero Copains, tout irait très bien.
Suite de l'interview dans la prochaine édition... Il y sera question de Superman et de la saison 5 !