Réalisé par Joshua Oppenheimer (II). Danemark/Indonésie/Norvège/Filande/Grande Bretagne. Documentaire. 1h43 (Sortie le 30 septembre 2015).
Attention : grand film à ne pas manquer.
Que dire d'autre de "The look of silence" ? En parler, c'est craindre de décourager ceux qui apprenant son propos ne viendrait pas recevoir une vraie leçon d'humanité de la part d'Adi l'ophtalmo indonésien itinérant.
Malheureusement, dans ce monde hémiplégique qu'était celui de la guerre dite froide et du conflit est-ouest, on n'avait d'yeux que pour les crimes et les génocides de l'autre camp. Ainsi les plus critiques du camp occidental, ceux qui rejettent encore aujourd'hui le capitalisme et son lot d'inhumanités, ignorent toujours qu'il y a eu un abominable massacre de paysans dits communistes en Indonésie.
Joshua Oppenheimer a pourtant déjà conté cette histoire effarante dans un premier film, "The Act of Killing", en 2012. Il y reconstituait avec les bourreaux eux-mêmes les crimes qu'ils avaient commis presque cinquante ans avant.
Cerise sur le gâteau, il les amadouait en leur réalisant visuellement leurs fantasmes.
Ce film, produit comme "The look of silence" par Werner Herzog, avait eu un grand écho, mais n'avait pas passé la barre du "grand public". Il avait valu à Joshua Oppenheimer une interdiction de tourner en Indonésie.
C'est donc dans des conditions indescriptibles qu'il revient à la charge avec "The Look of silence". Ceux qui auront la patience de lire le générique du film découvriront quelque chose d'inouï : à part le réalisateur et quelques-uns de ses collaborateurs, chaque poste technique est attribué à un certain "Anonymous".
Il faut dire que l'Indonésie est un cas à part : c'est un des rares pays où les responsables d'un quasi-génocide n'ont pas été jugés à un moment ou à un autre. À l'inverse des nazis ou des khmers rouges, le régime de Suharto est toujours en place et ceux qui ont tué leurs voisins, non seulement n'ont pas été inquiétés, mais sont souvent de vieux monsieurs bardés de médailles et ayant gagné du galon à l'intérieur de la hiérarchie du parti responsable des massacres.
On comprend dès lors pourquoi Joshua Oppenheimer est persona non grata et pourquoi ses collaborateurs indonésiens s'appellent tous "anonymous".
Dans "The look of silence", il a troqué le ton persifleur du documentaire reconstitué pour celui d'un vrai témoignage. En suivant Adi qui a perdu son frère, des amis, des voisins dans ces atrocités perpérées à coup de machettes, et qui retrouve un à un ceux qui les ont commises, on est tout à fait sans voix. On ose écrire qu'il les regarde dans les yeux, qu'il sonde ce qu'il y a au fond de leur regard.
Plus étonnant, plus effrayant, ce sont ces aveux badins, lâchés presque en passant, de ces vieillards presque tous sans remords et pire encore sans conscience qu'ils pourraient avoir à en exprimer.
"The look of Silence" de Joshua Oppenheimer ne nécessite pas de longues dissertations. Il se voit, il se vit avec l'espoir que tous ceux qui le verront en tireront une réflexion sur la dialectique bourreau-victime. Car, les bourreaux et leurs complices réels ou symboliques sont loin de n'être que des Indonésiens.
Puisse ce film prodigieusement intelligent et d'une force exemplaire rare faire comprendre qu'il ne faut pas se contenter des discours dominants si l'on veut qu'un petit morceau de vérité, même s'il n'est qu'un infime élément d'un puzzle que l'on ne peut plus reconstituer, transparaisse enfin. |