Six ans après son courageux retour sur scène, le chanteur des Apartments, Peter Milton Walsh, reprend une tournée en France, suite à la sortie d’un nouvel album. Remettons un peu les choses en perspective : dix-huit ans, c’est le temps qu’il a fallu à Walsh pour accoucher d’un nouvel album (j’utilise à dessein le verbe "accoucher", tant nous savons les raisons amères, qui furent à l’origine de cette longue gestation).
No Song, No Spell, No Madrigal est un album magnifique : outre son caractère intemporel, il témoigne d’une grande cohérence. Afin d’appuyer la continuité de l’album, le groupe de Peter Walsh l’a joué intégralement sur scène, dans l’ordre des chansons : forme d’apparence linéaire mais faite de soubresauts, de retours en arrière.
Dans un récent entretien, Walsh affirme qu’il ne pensait pas publier ces chansons sous forme d’album, mais plutôt comme une sorte de mémorial. "Et je n’y pensais pas du tout comme mon prochain album, mais comme le dernier tout court", ajoute-t-il. Nous sommes arrivés au bout d’un parcours, où un homme blessé est parvenu à se livrer une dernière fois, au plus proche de l’intime, du secret, de la confidence.
Et sur scène cet homme semble vulnérable, mais sa vulnérabilité est doublée d’une combativité. Si son corps traduit si bien la fêlure de sa vie, sa voix, elle, reste intacte. Dans la moindre inflexion de voix, on peut percevoir un déchirement ; et chaque geste semble appeler un souvenir, celui de l’absence d’un être cher, de promesses non tenues, mais aussi d’une possible réconciliation avec soi (tentative réussie avec la chanson "Twenty One", même si l’on devine, à l’écoute de cette chanson, que cette réconciliation fut l’épreuve de sa vie).
La deuxième moitié du concert est consacrée à d’anciennes chansons, rarement jouées. Entendre des titres comme "On every corner", "All you wanted", ou encore la définitive "Everything is given to be taken away" (titre qui résume bien l’œuvre des Apartments, ou plus encore, la vie de Peter Walsh) fut une joie, et un événement pour une poignée d’admirateurs. La force de Walsh, ce grand vivant, est d’avoir surmonté sa tristesse et sa fatigue, pour rejouer ces chansons dont la beauté – très dure – est celle de l’éclat sans retour. C’était sans doute pour lui une question de survie, favorisée par une nécessité impérieuse.
Emmanuel Tellier, chanteur des 49 Swimming Pools, est celui qui dans une certaine mesure est allé chercher Peter Walsh, selon une promesse qu’il s’était faite il y a longtemps. "Tellier m’a tout simplement ramené vers ce monde de la musique que j’avais complètement laissé derrière moi (…). Il y a eu pas mal de déclics tout au long du chemin, et Emmanuel a été un gros déclic." (P. Walsh).
C’était donc l’évidence même que 49 Swimming Pools ouvre le concert, dans un mouvement de solidarité musicale, et surtout d’amitié. Depuis son premier groupe Chelsea (beau groupe de pop française du début des années 90, injustement méconnu), les intonations de la voix de Tellier sont restées les mêmes.
L’instrumentation est plus ample, plus sophistiquée, parfois un peu difficile à suivre, tant ces chansons sont complexes, multiples : mille-feuilles musicales, immédiateté des refrains, artisanat des compositions.
On pense parfois aux Flaming Lips, dans cette technique de l’ajout, de la superposition, du collage. Efficace introduction en tout cas à une soirée hors norme que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
|