Bobo Rondelli vient de Livorno, la ville des anarchistes italiens. Déjà cela peut expliquer la vie de ce monsieur, rancontée dans le documentaire du réalisateur Paolo Virzì, L'homme qui s'est cogné la tête.
Bobo (diminutif de son prénom Roberto) arrive comme d'habitude en retard, après avoir bu du vin rouge, et s'amuse déjà du public qui l'attend assis par terre dans la salle chez Ciao Gnari pleine à craquer, pour la deuxième fois complète.
"Vous me faites penser aux hippies !" dit-il. Il prend toute de suite sa guitare acoustique et commence à chanter "Lungo treno del sud" ("Le long train du sud") de Piero Ciampi, un autre livornais, né dans la même rue que Modigliani, triste et alcoolique, qui a vécu aussi à Paris et qui signait ses albums avec le pseudonyme Piero Litaliano (Piero l'italien). Ce n'est pas par hasard que le deuxième album de Bobo s'intitule Disperati, intellettuali, ubriaconi ("Désespérés, intellectuels, ivrognes"), dans lequel il avait déjà fait une reprise de Piero Ciampi.
Bobo est connu pour son talent de cabarettiste et d'animateur : on l'écoute faire des imitations, on le voit gesticuler très amusé ou imiter l'effet waouh de la guitare avec sa voix forte et profonde avant de commencer sa setlist.
Ces morceaux sont simples comme lui, juste voix et guitare, un mood très folk, presque intimiste, qui prête beaucoup d'attention aux paroles, aux questions de la vie, mais en même temps desquelles il se moque, avec l'esprit de celui qui veut éloigner les peurs et la tristesse.
Dans la salle, quelqu'un écrit sur un petit carnet en buvant du vin. Bobo plaisante avec lui, c'est un ami, et lui dit de monter sur la scène avec une fille pour danser en accompagnant un morceau au style Hawaii.
Il nous parle de sa passion pour Emanuel Carnevali. Ce poète italien a émigré aux États-Unis à juste seize ans sans connaître un mot d'anglais ; il écrivait ses poésies en anglais, qu'il a appris en lisant les panneaux d'affichage.
Dans son dernier album Come i carnevali ("Comme les carnavals", jeu de mots avec le nom du poète : en italien, cela signifie "carnavals"), il lui dédie le morceau "Carnevali", qui commence avec une strophe d'un poème : "Je sème des mots d'une poche trouée".
Il s'amuse aussi en imitant Jannacci et Gaber, deux compositeurs / animateurs / acteurs italiens, qui sont à la chanson italienne ce que Brassens est à la chanson française. Bobo fait beaucoup de blagues en traduisant des mots de l'italien au français, comme promenade pour parler des promeneuses des années 1920, de sa grande-mère et d'Edith Piaf, un monde qui n'existe plus.
On arrive aussi à parler d'immigration et d'argent, de politique et d'injustice avec un de ses morceaux les plus célèbres "Per amor del cielo" ("Pour l'amour du ciel"). Après ce moment de réflexion, on plaisante encore une fois sur une imitation assez drôle de Johnny Cash.
Aux concerts de Bobo, cela se passe comme ça : on rit, le public parle avec lui, il imite Maria Callas façon parodie de l'opéra et fait semblant d'être en colère avec un monsieur de Pisa (ville historiquement rivale de Livorno), car il est plutôt un chanteur ambulant, un ménestrel de la vie dure.
Il joue des morceaux d'un vieux chanteur corse, Pascal Danel, dont son oncle lui avait offert l'album quand il était un enfant ; évidemment il ne s'agit pas d'un album pour un enfant. Et on continue en imitant l'acteur Ugo Tognazzi dans le film La voglia matta.
Le public se met à chanter dès qu'il commence à jouer "La marmellata" ("La confiture"), un morceau célèbre, où l'amour de la vie d'autrefois est mélangé à l'amour pour dieu, le rite de la messe, les souvenirs d'enfance et du passé ("Je cours heureux / comme quand je sifflais loin des jours d'école / et j'entrais dans la salle par la fenêtre / pour te voir voler de la confiture").
Et dans son passé, il y a le souvenir de sa mère, disparue il y a un an. Bobo raconte un rêve après sa mort, où il tombait dans un lac avec sa moto et en sortant, il se retrouvait dans une église, sans statue, pas de saints, mais une grande fête où il y avait sa mère et son père heureux ensemble. Il s'est reveillé en appelant sa mère et a pleuré à l'idée de ne pouvoir plus jamais dire le mot "maman". On est tous touchés et il plaisante comme d'habitude en disant que sa mère doit continuer à tolérer ses comportements d'enfant terrible.
Il termine le concert avec une reprise de Fabrizio De André, "La canzone dell'amor perduto" (La chanson de l'amour perdu") et on pense au couplet de son morceau : "Je suis comme Carnevali et d'autres poètes guérisseurs de l'inutile".