Comédie dramatique de Israël Horovitz, mise en scène collective, avec Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland.

Quand on emploie l'expression "Espace vital", certaines oreilles sifflent et voient revenir des temps de barbarie. Surtout, si, comme Israël Horovitz, on lui accole entre parenthèses sa traduction allemande, "Lebensraum".

C'est donc en Allemagne, dans la grande Allemagne réunifiée du moment, qu'Israel Horovitz situe, dans un futur très très proche, cette pièce écrite en 1998.

Comme Philip Roth, dans "Opération Shylock", l'auteurd'"Opus Coeur" imagine que quelqu'un ait l'idée de proposer aux rescapés du génocide nazi de revenir en Allemagne.

Chez Horovitz, ce n'est pas comme chez Roth un illuminé qui fait cette délirante proposition d'accepter de donner la citoyenneté germanique à "six millions de juifs", mais le chancelier allemand lui-même. Dès lors, on va suivre quelques personnages tentés par l'aventure et, à travers eux, comment tout cela prendra ou non corps, deviendra un nouveau cauchemar ou un nouvel âge d'or.

Jouée avec conviction et une belle énergie par Michel Burstin, Bruno Rochette et Sylvie Rolland, qui à eux trois incarnent une cinquantaine de personnages, "Espace vital (Lebesraum)" est une farce tragique qui fait souvent rire avec des sujets qui font souvent pleurer.

Sur le plan théâtral, elle est astucieuse et confirme la vitalité d'Horovitz quand il s'empare d'un sujet, fût-il comme celui-là passablement encombré et plein de chausse-trapes.

Demeure une réserve de taille, dont on ne peut s'affranchir : Horovitz fait de l'Allemagne des années 2010 un prolongement de celle de 1933. Dans sa pièce, les petits-fils des nazis accueillent les petits-enfants de leurs victimes comme si rien ne s'était passé. Entre temps, l'Allemagne a pourtant changé.

C'est désormais une démocratie et un pays multiracial, comprenant une forte minorité musulmane. La proposition du chancelier en devient alors absurde et dangereuse, voire propice à générer des tensions ethniques.

Bien meilleur dramaturge qu'idéologue, Horovitz n'a pas pensé à créer un personnage moderne d'allemand qui pourrait, par exemple, être pro-palestinien. Ses Allemands d'opérette viennoise ont tous l'air d'avoir "Mein Kampf"  caché sous leurs oreillers.

Si on ne lui tient pas rigueur de son schématisme politique et que l'on voit sa pièce comme le fantasme d'un homme toujours hanté par les crimes nazis, "Espace vital" n'est pas à dédaigner et bénéficie du savoir-faire d'une excellente troupe.