Concert de Ingrid Caven accompagnée par le pianiste Jay Gottlieb.
Rousse éternellement flamboyante, tenue et hauts talons noirs, Ingrid Caven s'avance avec aplomb vers le micro. Altière, arrogante, il lui suffit de quelques mots pour l'apprivoiser et s'installer dans son univers.
Dernière chanteuse expressionniste, elle pourrait n'être que le témoin de ce que fut le cabaret allemand et triompher dans la nostalgie attendue.
Pour elle, elle a une voix rompue à tous les exercices vocaux et la présence charismatique d'une grande actrice. Mais Ingrid Caven aime expérimenter et c'est du côté de la modernité qu'elle inscrit son show.
Ainsi, avec la complicité de Jay Gottlieb, qui a la modestie de mettre totalement à son service un talent de virtuose, elle peut passer des compositions de Peer Raben ("Le" compositeur des musiques des films de Rainer Werner Fassbinder) à celles de John Cage ou de Kurt Weill.
Ceux qui assisteront pour la première fois à une performance d'Ingrid Caven découvriront une facette rarement mise en avant de cette grande artiste : sa fantaisie. Sa robe noire ne rime pas automatiquement avec "tragique". En elle, couve un talent comique que Jean-Jacques Schuhl, prix Goncourt avec un "roman" intitulé "Ingrid Caven", a su faire éclater dans les textes qu'il a écrits pour elle.
On sent qu'Ingrid Caven est heureuse quand elle entend des rires dans les chansons de Schulh comme "Chambre 1050" ou "Blue Liz" et qu'elle brise ainsi la distance de la "respectabilité" due à un monument de la chanson germanique.
Avec une économie de moyens dans sa gestuelle, qui la différencie de certaines "tragédiennes" de la chanson expressionniste, elle "joue" en comédienne ses textes et ne les "surjoue" jamais en star. Aimant son répertoire, elle ne le force pas, traite pareillement une chanson mal connue de son répertoire et un "standard" qui emporte à coup sûr les applaudissements.
Evidemment, quand elle entonne un "Ave Maria" magistral, qu'elle s'amuse à mêler sa voix à celle du King Elvis ou qu'elle reprenne un extrait de Mackie, elle obtient le même triomphe que depuis "quelques décennies", selon sa jolie expression. Elle n'oublie pas de citer ceux qui l'accompagnent depuis les temps fassbindériens, Roland Girard au son, Antoinette Masiak à la lumière.
Dans une vie de spectateur, c'est un bonheur total de pouvoir dire qu'on a vu Ingrid Caven, une légende, une véritable légende qui n'a pas besoin d'être capricieuse ni de passer au Carnegie Hall pour bien faire son métier. Avec elle, pas besoin non plus d'employer toute la gamme des superlatifs.
Il suffit simplement de murmurer : Ingrid Caven est une artiste, une artiste inoubliable. |