La vérité. Un titre d'album qui contient forcément son antinomie, le mensonge. "La vérité si je mens" dirait Richard Anconina. D'ailleurs à la fin du clip du second extrait de l'album, "Toi et moi", Manu semble justement nous prévenir, d'un regard pétillant et d'un sourire en coin, de ne pas forcément prendre cette "vérité" pour objective, mais plutôt comme intersubjective. Réduit à son seul point de vue, on ne sait pas si ce qu'on voit existe réellement, le monde se déstructure. En perdant autrui, je perds le monde.
Le titre de son nouvel album indique, en creux, que Manu n'est plus seule, que Manu n'est plus le projet de la seule Emmanuelle Monet mais qu'elle revient au sein d'un groupe.
Au-delà du titre de l'album, cette impression se renforce dès la première écoute. Moins intimiste que son précédent opus, La dernière étoile, lorsque le tempo ralentit et que, sur "Je pense à toi", Emmanuelle semble se livrer derrière Manu, on réalise que la musique de cette chanson a été écrite à quatre mains, alors qu'elle signe sept des onze titres originaux en auteur / compositeur.
Manu brouille les cartes et les pistes. Manu prétend "revenir aux sources", on retrouve certes l'énergie, les guitares, l'électricité comme autant de marqueurs d'une autre période de la vie d'Emmanuelle. Une période plus vraie ? Rien n'est moins sûr. Mais une période aux aspérités polies par le temps. "La vérité est ailleurs" dirait Mulder.
"C'est ici que l'on s'échoue, que la lumière se dissout" (extrait de "La Vérité"). "La vérité est au fond du puits" disait Démocrite même s'il le disait en grec ancien. Or lorsqu'on écoute les paroles ou qu'on lit le livret, on a tendance à se rallier à l'avis de notre vieil ami d'Abdère. "Ne me laisse pas au bord de tes larmes" ("Des Larmes"), "Autant le dire / Autant en finir" ("Juste Une Chance"), "Tu me tues à petit feu / Tu te contentes de peu" ("Encore de moi"). Est-ce là la vérité ? La vérité par le désenchantement ?
Musicalement, toute vérité est-elle bonne à dire ? Une intro qui rappelle "Heroes" de Bowie sur "Toi et Moi", une intro en clin d'oeil à "Teenage Kicks" des Undertones (reprise fidèle à l'originale en fin de disque) sur "Encore de Moi". Manu cite ses influences, Grandaddy, Pixies, Sonic Youth, des groupes dont la notoriété et le succès commercial ont éclaté dans les 90, mais dissimule quelques penchants pour des groupes de la décennie précédente. Pat Kebra, ami de longue date et guitariste d'Oberkampf est d'ailleurs de la partie.
Ces goûts sont-ils inavouables ? Pas du tout, mais la vérité se pare aussi de zones d'ombre. Le "Wap doo wap" de "Bollywood" peut ainsi autant renvoyer aux Ronettes qu'à Claude François ou à David Bowie, même s'il y a parmi eux un nom qu'il vaut mieux laisser reposer au fond de la mare.
Finalement, sous son vernis de disque direct, power pop, léger malgré les guitares saturées, sous hautes influences 90's, La Vérité n'est pas si simple. Et c'est certainement ce qui en fait un disque aussi accrocheur.
Les 13 novembre (a fortiori quand cela tombe un vendredi) ne seront plus vraiment les mêmes depuis 2015. Nos pensées vont nécessairement vers les victimes et leurs proches de ces attentats. En attendant de pouvoir retourner en concerts, aux terrasses de cafés, partageons un peu de joie au travers de notre sélection culturelle de la semaine.