Sylvester Ossman - Mamie Smith - Sylvester Weaver - Ed Andrews - Papa Charlie Jackson - Old Southern Jug Band - Eck Robertson - Charlie Poole - Ernest Stoneman - Uncle Dave Macon - Memphis Minnie - Minnie Wallace - Big Bill Broonzy - Blind Willie Mc Tell décembre 2015
Un peu de fête dans l'air ne fait pas de mal. Bienvenue dans une rubrique que je tiens tous les ans. J'ai choisi des artistes et des disques dont 2015 marque l'anniversaire. Cet exposé ne se veut pas significatif d'une quelconque supériorité objective des albums évoqués. Il s'agit seulement de mon choix et de mes points de vue, espérant seulement que ceux-ci parleront à certains. J'ai cependant passé légèrement au crible l'actualité de quelques "classiques" du rock pop et folk, donnant ainsi des points de repères accessibles à un plus grand nombre d'entre vous. Sortez les bougies et le champagne, et partons explorer quelques galettes du passé. Vous verrez que certaines sont simplement nommées et rapidement traitées, alors que d'autres, celles dont j'ai voulu approfondir le contenu et le contexte, sont largement exposées. Autre point : cet article porte en particulier sur la musique anglo-saxonne en rapport avec le rock, ses ancêtres et ses hybrides. Let's go !
En 1915, il y a donc 100 ans, on grave des acétates et des disques depuis peu (fin du 19ème siècle) mais il s'agit de quelques styles musicaux particuliers, de la variété en particulier. En Europe, des genres comme le musette français sont enregistrés dès 1910, comme d'autres genres traditionnels. Aux Etats-Unis, les ragtimes, cakewalks, musique hawaïenne, airs de démonstration d'instruments comme le banjo de Sylvester Ossman sont les premiers à former le marché du disque. Mais cette année-là, on n'écoute pas encore de blues, ni de musique hillbilly-old time. Ces genres en pleine mutation, cependant, ne tardent pas à débarquer.
En effet, dix ans plus tard, 1925 : depuis le "Crazy blues" de Mamie Smith cinq ans plus tôt, les maisons de disques ont flairé un bon filon : la musique afro-américaine. Tout d'abord avec les chanteuses de blues dites "classiques", puis peu à peu l'avènement du Country blues. Ce dernier en est à ses balbutiements discographiques en 1925. Présent de façon vivante par le biais des bluesmen itinérants et des songsters depuis déjà quelques années, il s'installe sur les phonographes avec Sylvester Weaver, Ed Andrews et Papa Charlie Jackson. Ce dernier est un des premiers succès du blues rural en 1925. Face à ces musiciens solitaires, on trouve des "string bands" noirs et des "jug bands" comme le Old Southern Jug Band qui sort ses premières faces cette année là. Mais c'est dans les années à venir que le blues rural prendra vraiment son envol, avec une multitude de disques sortis dans la période 1927-1931.
Restons en 1925, mais quittons les afro-américains. Les premiers enregistrements de musique américaine "old-time" (terme non-utilisé à l'époque) sont apparus en 1922 avec Eck Robertson. Trois ans plus tard, à la date qui nous intéresse, cet univers est bousculé par une pléiade d'artistes dont les plus fameux sont Charlie Poole et son "Don't let your deal go down", Ernest Stoneman et sa femme Hattie, et Uncle Dave Macon qui, cette année là, débarque dans l'émission culte de la radio hillbilly américaine, le "Grand ole opry".
En 1935, la crise financière, depuis plusieurs années, a fait du mal à l'industrie du disque. Mais les structures les plus solides et les artistes les plus chanceux et populaires sont encore là. Le country-blues connaît encore des heures de gloire. Memphis Minnie ("He's in the ring" cette année là), Minnie Wallace, une autre des rares artistes féminins en "solo" dans le blues rural, Big Bill Broonzy, Blind Willie Mc Tell sont, entre autres, en pleine ascension cette année là.
La première génération de bluesmen est certes décimée (Charley Patton, Blind Lemon Jefferson...) mais la musique est en pleine mutation et plus vive que jamais, commençant à se déplacer du Vieux sud vers les grandes villes du nord-est. Ce mouvement est à mettre en parallèle avec l'évolution de certains musiciens tels que Leadbelly qui, en 1935, sort le 78 tours Packin' Trunk et migre du Texas vers le nord du pays, à New-York précisément. Le révérend Blind Gary Davis, grande figure du "Holy blues" produit sa première session.
En Louisiane, un homme appelé Amédé Ardoin enregistre sa "Valse brunette" et "Si dur d'être seul". Ces chansons de 1935 sont parmi les plus touchantes de la musique cajun d'avant-guerre. Ardouin sera tué quelques temps plus tard par des racistes jaloux de son succès.
En Géorgie, Blind Blake et Blind Boy Fuller sont les rois d'un blues décontracté à des kilomètres du Delta Blues, qui est beaucoup plus dur et expressif. Fuller sort le morceau attachant "Lonesome train" et meurt quatre ans plus tard. Riley Puckett, guitariste surdoué de l'old-time, et les fabuleux Delmore Brothers, qui mêlent blues et folk européen, sont très en vogue dans tous les Etats-Unis.
En 1945, Woody Guthrie fait parler de lui et de sa bande, et ils établissent les bases d'un renouveau folk à New-York, en compagnie de Pete Seeger, Cisco Houston, Josh White ou Leadbelly. Même si les dates exactes ne correspondent pas à notre chronologie, les œuvres de cette mouvance telles que les Dust Bowl Ballads de Guthrie ou les Last sessions de Leadbelly sont des chef-d'oeuvre en matière de musique folklorique, mélangeant blues, hillbilly dans des chansons parfois très engagées (une nouveauté dans le folk). Ceci étant dit, Leadbelly à cette période enregistre aussi des chansons pour enfants.
Le blues devient urbain, symbole d'un nouveau monde : le bluesman sudiste en salopette avec sa guitare acoustique en bandoulière est remplacé par des petites formations amplifiées et des groupes menés par des "shouters", puissants chanteurs de rythm'n' blues qui se doivent de couvrir le bruit des instruments à l'aide de solides cordes vocales.
Les spirituals et le gospel connaissent un nouveau souffle, et ses nouveaux artistes, inspirés par le rythm'n'blues et le folk, connaissent un grand succès cette année-là : Marion Williams et surtout Sister Rosetta Tharpe qui enflamme les salles et les hit-parades de l'époque avec ses chansons religieuses endiablées par la guitare électrique.
1945 marque aussi le succès du "Western swing", à l'image de Bob Wills et Milton Brown. Les Delmore Brothers, dans un style moins dansant et inspiré de la musique afro-américaine, sont encore très en vogue (et ils le valent bien, tant leurs chansons calmes et suaves sont agréables à écouter).
En 1945, Hank Williams a entamé sa carrière et se produit chaque soir à la radio. "Won't you please come back" fait partie des chansons qu'il compile dans un recueil de ses œuvres. Il n'est pas encore la star détruite par l'alcool et les médicaments, et dégage un charisme et une sincérité bluffante.
Peu à peu, les preuves tangibles que des ancêtres du rock'roll (institué officiellement seulement dix ans plus tard) se multiplient sont peu peu fréquentes : Louis Jordan, une décennie avant la vraie-fausse naissance du rock, joue un rythm'n'blues enragé et puissant qui pèse lourd dans la balance, avec son titre-phare "Caldonia".
1955. Un total inconnu fait son trou dans le monde du jazz : Sun Ra voit son premier album paraître Jazz by Sun Ra, un nom bien sobre pour une musique qui l'est aussi... pour peu de temps car l'énergumène se délivrera bientôt de ses chaînes. Dix ans plus tard, le label ESP, spécialiste des musiques atypiques et dérangeantes, le récupère et déjà on perçoit dans The heliocentric worlds of Sun Ra des libertés acquises.
A New-York, Cisco Houston est hissé au rang de maître à penser du folk boom et son dernier disque sorti sur Folkways fait bien des émules.
Voici venu l'heure du rock'n'roll et du rockabilly. Un an après le premier 78 tours d'Elvis Presley ("That's all right ma" et en face B "Blue moon of kentucky"), le mélange de blues, de country, de spirituals, s'installe sur les platines. Johnny Cash signe sur Sun Records et sort des disques qui deviendront des classiques du genre, des morceaux comme "Cry, cry, cry" ou "Folsom prison blues" étant de suite approuvés par le public. D'autres artistes fameux débutent chez Sun Records cette année-là : Carl Perkins avec "Blue suede shoes", Billy Emerson avec "Red hot", Maggie Sue Wimberly et j'en passe...
Depuis longtemps, ce fameux rock'n'roll était en gestation, comme une potion magique dans la marmite d'un sorcier, attendant d'être assez cuite pour être goûtée. En effet, les racines de cette révolution sont bien anciennes et les ramifications complexes. Depuis les années 1920, la gestation en question était visible, et le rythm'n'blues des années 1940 comme celui de Louis Jordan ou Wynonie Harris annonçait de façon évidente l'avènement en 1955 de Chuck Berry.
1965 : Los Angeles est en ébullition. Le folk-rock est un fœtus grandissant à vue d'oeil. Les Byrds sortent leur classique premier album "Mr. Tambourine Man", chanson adaptée de Bob Dylan qui lui n'en a que faire du folk new-yorkais dans lequel on l'a confiné, et accouche d'un électrique "Highway 61 Revisited", mettant Pete Seeger et consorts en colère.
Sur la côte ouest, on assiste donc aux débuts des Buffalo Spingfield et autres Poco ou Beau Brummels, combo presque inconnu et pourtant très touchant, même s'ils n'ont rien inventé. A l'est, l'on écoute les premiers disques de Fred Neil, Bleecker & MacDougal, Phil Ochs, Jackson C. Frank (son unique album), Tom Paxton ou encore Mike Hurley.
Les Stooges et le Velvet sont encore boutonneux, mais dans ce genre de pré-punk nihiliste, les Fugs accouchent de leur Fugs 1st Album. Même si leur musique n'a rien de "punk" au sens strict du terme, l'esprit est bel et bien là. Le premier disque des Holy Modal Rounders est dans la même veine : à l'époque considérés comme des aliens, ils sont aujourd'hui, comme les premiers Seeds ou Troggs, des incontournables visionnaires de ce que l'on peut nommer du "proto-punk".
Le blues se divise en une fraction revivaliste acoustique et une autre assourdissante venant de Chicago et des quartiers du nord-est américain. Même des blanc-becs anglais s'y mettent ! Cream attend 1966 pour sortir son premier album, mais toute une scène de blues électrique britannique se forme. Parallèlement, l'Angleterre devient le terreau d'une autre scène, plus folk, dont les premiers témoignages discographiques apparaissent : Bert Jansch sort un éponyme, avec le tubesque macabre Needle of death, Davy Graham enregistre Folk, blues and beyond.
En parlant de l'Angleterre, les deux groupes les plus connus de la planète s'en donnent à cœur-joie : The Rolling Stones, toujours dans leur première période, durant laquelle ils ne parviennent pas encore à se détacher de leurs influences pop pour devenir un vrai combo blues-rock, éditent deux disques dans l'année : Numero 2 et Out of our heads. The Beatles, eux, sortent deux albums majeurs : Help et Rubber soul.
David Bowie sous le nom d'emprunt The Manish Boys sort son premier single "I pity the fool". Son futur pote Iggy Pop joue de la batterie au sein des Iguanas en attendant des jours meilleurs. Les Beach Boys font fort : trois albums en un an, avec dedans le single "California girls". De quoi squatter la plage un bon moment.
Pour en finir avec le blues : Lightnin' Hopkins se démarque en profitant du Blues Revival tout en injectant dans sa musique une invitation au chaos électrique, et sort Lightnin Hopkins with his brothers, un disque qui, selon les dires, aurait causé la dissolution de la famille.
Enfin, Roscoe Holcomb, héritier de la musique old-time des Appalaches, et dont le chant ferait bander un chacal, sort son High Lonesome Sound. Bob Dylan et Eric Clapton n'arrêteront pas de chanter les louanges de cet album. Elizabeth Cotten, une artiste très attachante, est repérée par l'industrie du disque (son rôle de nounou chez la famille Seeger l'a certainement aidée !) et produit ses premières chansons, composées durant son adolescence. La naïveté de l'interprétation sert fabuleusement les compositions à l'image de son "Shake Sugaree" puis "Freight Train", un morceau culte repris par moult artistes.
En 1975, en Allemagne, Neu! revient avec son troisième disque, toujours très réussi, et leurs amis de CAN publient Landed. Ces deux galettes sont des pièces maîtresses du krautrock.
Restons en Europe, avec Serge Gainsbourg qui nous fournit un Rock around the bunker. Ce n'est certes pas son meilleur, mais le gars reste un génie et sous le deuxième degré, il y a là une palette entière d'émotions. Un objet attachant. A l'image de son créateur. Précisons que cette année-là, il enregistre L'homme à la tête de chou, monument gigantesque, qui sort quelques mois plus tard, en mars 1976.
Les personnages-clés du monde de la musique rock que sont Lou Reed et Brian Eno font mouche tous deux. Le premier commet un acte de suicide commercial (qui était prévisible quand on connaît un tant soit peu Reed) avec son Metal machine music. Quelle valeur donner à ce moment d'anarchie sonore ? Que doit-on en penser ? Il est intéressant de savoir ce que l'artiste lui-même doit en penser. Quant à Eno, Another green world est un grand disque. Il lorgne vers la pop, s'éloigne des contrées aventureuses vers lesquelles l'ex-Roxy Music nous avait emmenés, et c'est un album très frais, doux et agréable que l'on découvre.
Passons à Gene Clark, l'ex-Byrd et surtout compositeur de génie (l'année précédente a été celle de la consécration - artistique, mais, en bon loser, pas pécunière - avec son No other). En 1975, il sort un 78 tours live (Silverado '75) détesté par certains mais adulé par d'autres. C'est un document "roots", brut, sur une date où Clark paraît éméché, mais ce qui fait ses défauts fait aussi ses qualités : des chansons très proches de ce que des milliers d'artistes cherchent à faire en vain. De la pure americana, puisant dans le blues comme dans le folk, joué avec ferveur et insolence car Clark a tiré les leçons du rock'n'roll. Du grand art.
Bob Dylan enregistre en compagnie de ses amis du Band ce qui deviendra le bootleg le plus recherché de l'histoire du rock : The Basement Tapes. Dans un garage, le magnétophone tourne et l'on y découvre des premières moutures de chansons de Music from the big pink, par exemple le morceau génial "Tears of rage". En Angleterre, l'ex-Fairport Convention et génie de la guitare Richard Thompson s'associe à sa compagne Linda Thompson et écrivent un superbe album : I want to see the bright lights tonight.
Neil Young sort deux disques majeurs et impeccables, chacun dans un style propre. Zuma, très rock'n'roll, dans la lignée des productions avec le Crazy Horse (écoutez le fabuleux "Cortez the killer" ou "Stupid girl"). Et puis il y a Tonight's the night, qui devait sortir plus tôt, enregistré au cours d'une période noire, en tout cas très sombre, aussi sombre que la pochette. Young avait en effet perdu à l'époque deux de ses meilleurs amis (dont Danny Whitten, guitariste du Crazy Horse) à cause de la drogue. Bourrés de téquila du réveil au coucher, Young et ses collaborateurs produisent un monstre de ténèbres, trop pour son label qui différa la sortie quelques années plus tard, en 1975.
Et puis il y a le rock "punk" américain. Le proto-punk. Influencés par les Seeds, les Stooges ou le Velvet Underground, tout un monde se retrouve à New-York et constitue le noyau dur d'un genre qui n'en est pas un, car trop éclectique. 1975 marque la sortie du Horses de Patti Smith, mais aussi les débuts de Television, des Ramones (leur premier disque sort l'année suivante) et autres Suicide et Blondie.
En 1985, le punk, et désormais le post-punk, le hardcore, le folk alternatif... en bref beaucoup d'étiquettes font désormais partie intégrante de la culture rock, et certains artistes pointent même le bout de leurs nez dans la culture de masse, le grand public.
C'est le cas de REM, qui part à Londres enregistrer son troisième album, produit par Joe Boyd, le pape du folk anglais, ayant travailléavec Fairport Convention, Pentangle, Nick Drake, Pink Floyd, et tant d'autres. Fables of the reconstruction est un disque boueux, à l'image des sudistes de REM qui sont habitués à la chaleur de la Géorgie, déprimés et fatigués par cinq années de tournées incessantes. Cet état d'esprit donne à la musique un aspect mélancolique tout à fait remarquable.
1985 nous apporte un bon paquet d'albums réussis dans le milieu du rock indépendant U.S. Les Minutemen avec Project : mersh, les disques de Scratch Acid (plus tard compilés par Touch and go), Let it be des Replacements, Up on the sun des Meat Puppets, Bad moon rising de Sonic Youth, parmi d'autres, montrent à quel point la scène alternative est en ébullition.
Et surtout, c'est un milieu artistiquement éclectique, ouvert et j'en veux pour preuve la variété des genres, de Black Flag à Pylon, des Butthole Surgers aux dB's ou aux Feelies. A signaler un EP de l'un des meilleurs groupes de space-noise à l'époque : Big Stick et son mythique mais complètement ignoré Shoot the president.
Je tiens beaucoup à parler de cette scène indépendante du début des années 1980 : elle a amené un son - que dis-je - des sons variés et pertinents. Et surtout de très bons groupes de rock'n'roll. 1985 marque comme je l'ai dit les débuts discographiques de Scrath Acid : on fait difficilement mieux pour un premier jet. Ecoutez "Cannibal" ou "El espectro", vous aurez la chair de poule.
Cette scène engendre un futur groupe de pop stars, des gens attachés à leurs racines, mais qui bientôt, peu à peu, évolueront dans le rock grand-public. Il s'agit de REM. Cette formation qui m'est chère se rend, en 1985, en Angleterre où ils comptent enregistrer leur troisième album intitulé Fables of the reconstruction. Fatigués physiquement par cinq années de tournées incessantes au sein du circuit indépendant, loin de leur ville chérie d'Athens (Georgia) où il fait souvent beau et chaud, les quatres musiciens sont à bout et doutent de tout. Stipe est littéralement instable, il finira d'ailleurs la session studio en cure de désintoxication pour l'alcool.
Et malgré cela, REM sort dans l'année cette galette fantastique : boueuse, floue, la musique suinte et dégouline, les mélodies (plutôt folk par rapport à Reckoning, l'album précédent) restent très belles, le ton est désabusé et mélancolique. C'est un grand disque.
De son côté, l'ex-leader de Creedence Clearwater Revival, John Fogerty, produit un Centerfield tout à fait honnête ("The old man down the road", ou "I saw it on t.v" sont des tubes) mais la qualité de son ancien groupe lui fait placer la barre très haute : dur dur de faire mieux que Creedence !
Killing Joke sort le simple Eighties, titre phare de la génération new-wave tordue.
1995 : A quelques mois près (fin 1994), John Frusciante sort son premier disque solo, viré des Red Hot Chili Peppers.
Entre nous, je préfère largement ce Niandra Lades and Usually just a t-shirt à ses solos de guitar-héros au sein de son méga-groupe. C'est un sommet d'introspection, faisant penser à un Daniel Johnston qui saurait jouer, ou à Frank Zappa ne le sachant pas. On sent physiquement la présence de Frusciante à côté de son fauteuil. On l'entend respirer. C'est un album de blues, comme le Automatic for the people de REM, en beaucoup plus minimaliste et décalé. La vraie comparaison technique irait vers Bobb Trimble ou Michael Hurley, ou Jad Fair. C'est fou ce que ce mec arrive à faire passer grâce à ses cordes vocales. De l'émotion, rien que cela.
Un autre génie, qui a roulé sa bosse bien avant Frusciante sort A Man Called Destruction. Il s'agit d'Alex Chilton. Inutile d'en faire des tonnes, car tout le monde ou presque le connaît en tant que chanteur-guitariste dans les Box Tops ou mieux, dans Big Star, combo cultissime qui, à l'instar des Byrds, Beatles ou Badfinger, a innové et inventé ce que l'on nomme maintenant "Power pop".
A Man Called Destruction, je l'avoue, est le seul disque de mon article que je n'ai pas écouté. Mais j'ai tenu à le citer tout de même car aucun des albums de Big Star ou de ses membres ne tombaient sur une année en "5". Et je voulais à tout prix parler d'eux. A quelques années près, j'aurai eu l'immense plaisir de vous parler de Chris Bell, l'autre tête pensante du groupe et encore plus doué que Chilton (cela n'engage que moi, mais ne me dites pas que I am the Cosmos ne vous fait rien.). J'ai triché. Je suis vilain. Mais Chilton mérite d'être mentionné, et j'irai de ce pas écouter ce disque de 1995. Le musicien, décédé il y a peu de temps, avait sorti un Feudalist tarts en 1985 mais honnêtement, ce n'est pas un bon opus et je me voyais mal en faire l'apologie.
Une fille charmante répondant au nom de Cat Power (Chan Marshall est son vrai nom) fait ses débuts discographiques avec Dear Sir, opus trouble, oscillant entre angoisse et neurasthénie, des chansons tristes soutenues par une guitare et une batterie brouillons, et un chant obsédant. Cela fonctionne à merveille, au moins jusqu'à un certain point, car ses dernières productions n'ont pas le même charme que les deux premiers.
Deux ans avant la sortie d'OK Computer, album éblouissant (c'est en fait le seul que j'apprécie à sa juste valeur. Une sorte de juste milieu, comme s'ils jouaient aux fléchettes et qu'ils avaient visé le centre), Radiohead font déjà parler d'eux et le single "Creep" est passé sur toutes les ondes, avec à la clé plus qu'un succès d'estime.
Les Melvins enregistrent Stag, monument d'audace et de toupet.
PJ Harvey sort son To bring you my love, un sommet dans sa carrière et mon album préféré de Polly Jean, même si je ne suis pas fan ultime de l'artiste, dont je ne possède pas tous les opus. La chanson du même nom, la première du disque, me provoque des frissons.
De bonnes choses émergent du mélange entre rock et électro. Si l'on élargit à quelques mois ou quelques années la chronologie étudiée, on pense bien sûr à Massive Attack, puis Add N to (X), ou le Vespertine de Björk.
2005 : Les Mountain Goats déversent toujours leur flot de folk low-fi, avec cette année-là The sunset tree, sorti comme d'habitude chez 4AD. C'est un groupe unique, vraiment particulier. Leur musique semble plate alors qu'elle ne l'est pas. Elle ressemble à un grognement, au moment où l'on s'étire quand on se réveille.
Une réédition (ou plutôt une édition tardive) : celle de Dreams come true de Judee Sill, une artiste qui a sorti deux albums splendides au cours des années 1970, puis qui a chuté dans la came pour ne plus en ressortir. Ses deux premiers disques sont absolument essentiels. On peut être déconcerté par cet hybride de country et de musique baroque. There's a rugged road entre autres, fait partie de ces chansons inclassables et belles comme le jour. Le troisième opus retrouvé trente ans plus tard a été remixé par Jim O'Rourke, grand fan de la dame. Il est un peu inférieur, à mon humble avis, aux titres des années 70, mais c'est du bon son, mec.
Encore des mélanges de genres créant beaucoup de musique intéressante : Nurse With Wound, Current 93, Animal Collective sortent chacun un disque cette année-là.
Et puis le groupe Earth, avec Hex un album qui prouve la réelle évolution de Dylan Carlson. Ce mec a un sens de la mélodie hors du commun, qui était auparavant caché sous des masses de feedback et de drônes. Avec Hex, on distingue enfin des qualités que l'on devinait jusque là. Je vais vous en reparler dans une minute, car Earth a l'immense privilège d'être célébré dans mon article pour deux de ses albums.
Les Carolina Chocolate Drops, non signés à l'époque, se font les dents sur les scènes d'Amérique et d'Europe. Leur musique "old-time" futuriste teintée de hip-hop et de musique du monde rurale, une musique à la fois rurale et urbaine, est très bien ficelée et j'espère pouvoir vous en reparler cette année.
2015 : S'il vous plaît, m'sieur, un ptit nouveau Deerhunter et une reformation de Clouddead, ça serait possible ? Et bien pour la première demande, c'est chose faite, ce qui n'était pas le cas à la période durant laquelle j'ai commencé cet article.
Quelques mois plus tard, alors que je m'apprête à finir cet exposé, Deerhunter sort un album, que j'ai partiellement écouté, et qui sent l'apaisement et l'exploration de contrées bien plus "grand public" (nous diront pop), si on le compare à son prédécesseur Monomania. Pour Clouddead, on attendra.
Mais la fin de l'année nous a amené le disque Montage of heck de feu Kurt Cobain. Je serai assez bref là-dessus car j'ai prévu une chronique plus poussée pour bientôt. Un objet à posséder pour tout fan de Nirvana qui admet les penchants Low-fi et excentriques du leader d'un groupe dont la musique n'a que peu à voir avec Montage of Heck. Cette "compilation" a le mérite de mettre le doigt sur une facette souvent occultée de Cobain, un bonhomme à la Daniel Johnston qui savait manier le 4-pistes à cassettes et pour qui la simplicité et le minimaliste étaient des maîtres-mots.
Notons que l'année avait commencé avec la sortie du dernier Earth, projet de Dylan Carlson, ami proche de Cobain qui est un grand, grand disque, mature et posé.
Les années en 5 ne sont pas les plus fertiles au niveau de la production discographique. Avant d'écrire cet article, j'avais déjà remarqué que les débuts et les fins de décennies présentaient davantage d'intérêt. Je ne sais pas vraiment l'expliquer, mais c'est comme cela. Les années en 4 ou en 1 sont les plus remarquables. Mais je me suis promis de faire cela tous les ans. En espérant que cela vous aura donné des envies de découvertes ou de redécouvertes (on est parfois surpris des sensations que procure la réécoute d'un disque délaissé depuis des lustres). Rendez-vous en 2016.
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