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puce Le cri violet, petit abécédaire de mes années Leprest 1970-2011
Fabrice Plaquevent  (Editions L’Harmattan)  juin 2013

Depuis la mort d’Allain Leprest, le 15 août 2011, les hommages se succèdent à un rythme croissant : après un nécessaire temps de deuil, ponctué de quelques compilations et spectacles, sortaient fin 2014, coup sur coup, deux livres auscultant le parcours cahoteux du chanteur-poète de Mont-Saint-Aignan et deux disques révélant les inédits laissés à la postérité. Soudain, après des années à regretter qu’il soit "méconnu", l’actualité se chargeait, par un étrange tir nourri de sorties concomitantes, de rappeler quel grand chanteur / auteur le monde avait perdu… et quels innombrables trésors recèle son œuvre posthume, puits sans fond (textes exhumés presque chaque semaine) dont on aura du mal à venir à bout.

C’est l’une des particularités de cette discographie : alors que Leprest lui-même n’a publié qu’une petite dizaine de disques originaux, il a disséminé quantité de choses, en tous temps, sur les albums de beaucoup de monde. A la manière, jadis, d’un Gainsbourg, mais sans l’envie de faire obligatoirement des "coups" : plus en ami qu’en mercenaire ; auteur prolifique et inspiré plutôt que faiseur multitâches.

On date en général le début officiel de la "carrière" d’Allain Leprest à la révélation par le Printemps de Bourges 1985 (soit avant les premiers disques : Leprest est un artiste de scène). Néanmoins, il avait commencé à se produire dans les salles de Normandie une dizaine d’années auparavant. Cette "préhistoire", dont on savait jusqu’ici peu de choses, a été mise en lumière par un de ses compagnons de route de l’époque : Fabrice Plaquevent – signature connue des leprestophiles pour la musique de l’inusable "Mec", première chanson du premier album d’Allain.

Plaquevent, par ailleurs auteur-compositeur-interprète sous le pseudonyme de Julien Heurtebise, a d’abord publié en 2007 un album, Chansons du temps qu’il fait, compilant quinze morceaux écrits par Allain et mis en musique par lui, entre 1975 et 1981. De simples vieilleries a priori, que Leprest lui-même n’a jamais estimé utile de reprendre (hormis "Mec", ultime morceau de cette première collaboration avec un compositeur) – et avec lesquelles il a gardé ses distances, se montrant parfois très critique sur la forme (cf. le livre de Marc Legras, Dernier domicile connu). Mais on n’est pas forcé d’être d’accord avec son jugement a posteriori : ce disque est une aubaine pour qui veut saisir la maturation d’écriture de l’auteur de La Retraite ou Martainville. Au répertoire initial concocté pour le duo guitare-voix Leprest-Plaquevent, bardé de références littéraires ou historiques, succédaient les chansons portées en groupe en 1980-81, déjà plus ludiques et audacieuses sur le plan des associations (et jeux) de mots.

Le disque Chansons du temps qu’il fait conjugue ces deux répertoires de façon astucieuse, les entremêlant sans soucis de chronologie mais dans l’idée d’aboutir à un tracklisting équilibré entre sombres considérations poétiques ou engagées et choses plus ludiques mêlant le quotidien le plus trivial à des jeux sur les assonances et allitération annonçant le Leprest à venir. Le tout décapé de ses oripeaux d’époque (guitare-voix typiquement 70’s pour les premières, un peu rock ou jazz pour les secondes) par une remise à plat piano-voix orchestrée par Cécile Veyrat, et porté par la voix désormais plus assurée d’Heurtebise-Plaquevent.

Ce disque, que peu de gens connaissent, est à réévaluer d’urgence. Au-delà de quelques thèmes inévitablement ampoulés (on s’endort à l’évocation trop émue de "Gérard Philippe", ou à celle pompeuse de "Monsieur Victor"), il contient sa juste dose de poison : la chanson qui donnait son titre au spectacle de 1975 (et désormais son titre à l’album) est une réussite qui transcende ses références historiques, porté par un piano alerte malgré le drame sous-jacent. "Papa" et "A Bloc" jouent sur des rythmes syncopés, l’une évoquant la famille Leprest, l’autre le monde tel qu’il va et débloque (l’ironique leitmotiv "Monsieur nous vivons une époque… fooormidable !" pourrait être repris aujourd’hui sans dommage). Quant à "A tu à toi", il contient déjà assez d’images joyeusement entrechoquées ("Arrive demain, aime tes grands yeux stop / Crève à grand feu, impossible crier / La vie parfois ressemble à un vieux clop / Qui s’fume tout seul au fond d’un cendrier") pour presque ressembler à du Leprest classique, dont on se demande pourquoi il n’a encore été repris par personne – hormis Heurtebise / Plaquevent lui-même.

Ce disque sorti en 2007 a été suivi, six ans plus tard, par un ouvrage essentiel dans la compréhension du parcours du chanteur : Le cri violet, dans lequel Plaquevent / Heurtebise racontait par le menu (alphabétique) son amitié et sa collaboration avec Allain Leprest, évoquant les quatre-cents coups faits ensemble… et illustrant, au passage, la genèse de ces chansons méconnues.

Dans son introduction, Plaquevent dévoile ce qui l’a poussé à coucher par écrit ses souvenirs : "J’ai eu peur, peur de moi, peur que tout un pan de ma vie disparaisse avec Allain". Et pour justifier la forme prise par son livre : "Plutôt qu’une biographie qui ne saurait de ma part être exhaustive, j’ai choisi cette forme de dictionnaire un peu déroutant, de lexique sans chronologie, de glossaire factuel, parce qu’elle me paraissait moins pompeuse qu’une œuvre romancée, et propre à souligner le détachement qu’Allain et moi avions des œuvres institutionnelles".

Ce double parti-pris, d’un fond purement autobiographique et d’une forme légère, rêveuse, voire lacunaire, donne toute son originalité au livre de Plaquevent, et en fait bien plus qu’un simple témoignage : un véritable travail d’écrivain. Car on a trop souvent vu des biographes questionner les témoins dans le simple but de leur faire cracher le morceau attendu sur les vedettes auxquelles ils consacraient leur ouvrage, oubliant au passage de s’interroger sur l’effet produit par le passage de l’artiste en question dans la vie de ces compagnons de l’ombre. Puisque Plaquevent a chanté en duo avec Leprest, il était légitime que son livre retrace leur double parcours, pas uniquement celui d’Allain. De fait, ce choix de ne pas focaliser sur l’ami connu, mais de distiller sa propre personnalité au fil des pages, rend son texte beaucoup plus chaleureux que le laissait imaginer la froide recension alphabétique des faits. Leprest ne s’est pas fait tout seul, et ausculter les courants de création parcourus ensemble est une façon de l’aborder de biais, mais avec un éclairage plus original – et contrasté – qu’une auscultation univoque de face. Car, et c’est tout l’intérêt de ce point de vue personnel, le monde de la chanson littéraire en général (et Leprest en particulier) n’apparait pas ici comme quelque chose d’angélique, mais bien comme un milieu avec ses stars et ses outsiders, ses amitiés et ses brouilles, ses concerts réussis et ses rendez-vous ratés.

Entre autres réussites, le livre de Plaquevent ressuscite à merveille une époque (les années 70) et un milieu culturel (le circuit associatif, où les infrastructures des partis communistes locaux permettaient aux jeunes artistes de la mouvance chanson poético-engagée de s’exprimer). La plupart des noms cités appartiennent à un temps révolu, et il faut creuser pour remettre un visage ou (mieux encore) un air sur tel ou tel patronyme. Mais la minutie avec laquelle l’auteur n’oublie personne rend sa peinture incroyablement vivante. On voit apparaître, au fil des pages, quelques figures familières du parcours de Leprest : même si Plaquevent a surtout été le compagnon de route des débuts, il n’a jamais totalement perdu contact avec son ami. Cette paradoxale proximité à distance lui donne assez de recul pour rire du phénomène de cour entourant les ténors de la chanson. Mis en perspective avec son propre cheminement d’artiste en perpétuel développement, il révèle une réalité de ce milieu, qui comme tous les autres, fonctionne à plusieurs vitesses. Mais il le fait avec plus de lucidité et d’humour que d’aigreur, ce qui donne un portrait de groupe contrasté mais tout de même très amical.

Enfin, il revient sur ses fameuses chansons, et l’on comprend (mieux que dans le CD, dont le livret était assez succinct) les différentes étapes de leur composition / interprétation : il faut réécouter le disque après avoir lu le livre, pour en saisir toute la pertinence. Drôle de période, où l’Allain n’était pas encore tout à fait Leprest, mais où l’association avec un autre artiste, pendant quelques mois ou années, l’a paradoxalement aidé à se trouver, et devenir finalement lui-même.

 
A lire aussi sur Froggy's Delight :
L'interview de Fabrice Plaquevent

En savoir plus :
Le site officiel de Julien Heurtebise
Le Soundcloud de Julien Heurtebise
Le Facebook de Julien Heurtebise
Le Facebook du livre Le Cri Violet


Nicolas Brulebois         
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