Que se passe-t-il quand un journaliste spécialiste du polar pose son clavier objectif pour écrire un subjectif polar ? Cela donne Mala Vida, premier roman solo de Marc Fernandez : un croque-mitaine, des bébés (qui ne le sont plus depuis longtemps), un peu de sang et quelques curieux chipoteurs.
Qui de mieux que le sombre Franco pour croque-mitaine ? Un dictateur ordinaire, option meurtres en sourdine et enfermement politique, additionné d’enlèvements et de bâillonnements des libertés individuelles.
L’histoire se passe de nos jours, mais en Espagne, l’ombre de Franco plane toujours, surtout depuis que la droite dure vient de remporter les élections. Diego Martin, notre héros ordinaire tente de faire de son mieux, entre purge médiatique et censure grandissante. Pas de bol sous les étoiles, il est journaliste radio spécialisé en affaire criminelles. Et une belle affaire lui tombe sur le coin des oreilles. Lui sent le croustillant de l’enquête, son gouvernement un peu moins.
Et la course poursuite a commencé avant même que vous ne le réalisiez… Parce que tout a commencé bien avant les meurtres : un homme politique, un médecin, une religieuse… Comment relier les affaires ? En remontant dans le temps.
Non, il ne s’agit pas là d’une histoire de journaliste mal orienté (ah ces CPE !), qui résout l’affaire bien mieux qu’un détective de métier. Mala Vida a plutôt le profil d’une chasse aux secrets (on ne sait plus vraiment qui sont les sorcières), des non-dits à déterrer du fond des années où le Caudillo espagnol partageait quelques idéaux d’un certain Adolf H germanique.
Même si les personnages m’ont semblé peu attachants, l’histoire qu’ils racontent émeut forcément : celle des bébés volés en pleine guerre civile de l’ère franquiste. Le procédé était simple : simuler la mort du bébé à des parents éplorés (les opposés au régime), pour le proposer (contre trébuchantes monnaies) aux amis du parti. Mais les bébés ont grandi, les parents très vieillis et désireux d’accéder à l’Eden se déchargent des secrets qui pèsent un peu lourd dans la balance des âmes : "Mon fils adoré, je t’ai acheté quand tu nouveau-naissais". Imaginez le choc pour les enfants en question, et l’envie de vengeance qui en découle. Isabel en est.
Diego et elle se lient d’amitié pour dénicher ne serait-ce qu’un seul témoignage pour prouver la véracité de ce qui semble n’être qu’une vague légende urbaine pour ados attardés. Pas évident. Mais Marc Fernandez connaît son sujet, et c’est en toute pudeur et angoisse qu’il soulève le coin du voile. Flippant. Et superbe. Ni tout noir, ni tout blanc, criant de vérités, Mala Vida est un troublant voyage réflexif qui nous pose la sempiternelle question : "et nous, qu’aurions nous fait ?"
Un beau roman, juste assez pour comprendre l’ampleur, pas assez pour détailler l’ampleur des secrets instigués par Franco-Caudillo. Un passé qui commence tout juste à faire couler de l’encre, et qui n’a pas fini de noircir des pages.
Marc Fernandez signe là une sorte de prélude à une longue série de mystères irrésolus. Une poignante prise de conscience de la réalité des hommes, ces cruels personnages qui font parfois n’importe quoi pour un dictateur, ou un bébé… |