Réalisé par David O. Russell. Etats-Unis. Biopic. 1h40 (Sortie le janvier 2016). Avec Jennifer Lawrence, Robert De Niro, Bradley Cooper, Ramírez , Virginia Madsen, Isabella Rossellini, Diane Ladd et Dascha Polanco.
Il a de la chance, David O'Russell. Il écrit et réalise des films à succès, bien faits avec des rôles formidables pour des acteurs, notamment pour Jennifer Lawrence qui lui doit un Oscar pour sa performance dans "Happiness Therapy".
Il a surtout la chance de ne pas avoir été - trop tôt - dans le collimateur des critiques qui font l'opinion et qui disent qui est un auteur ou pas. Comme, après son excellent film, "Les Rois du Désert", David O'Russell a eu un passage à vide, il n'a pas obtenu la carte qui momifie les talents.
Désormais, il enchaîne les films vantés par la critique, notamment pour la qualité de leurs scénarios - comme "American Bluff"-, sans qu'il soit mis en avant, sans qu'il ait les faveurs des sélections dans les grands festivals qui font les réputations d'auteur.
Et, pourtant, en voyant "Joy", on est épaté par son talent, et surtout par ses dons de conteur. Dans "Joy", il y a plusieurs films qui se succèdent, sans que le film soit heurté ou relève de procédés.
Il sait, par exemple, décrire la famille déjantée de Jennifer Lawrence et lui donner un petit goût de récit à la Carson Mac Cullers, entre grotesque et poésie. Mais, au lieu de s'y cantonner, il fait bifurquer son histoire et de femme courageuse qui porte sur elle tous les échecs de ses proches enkystés dans des rêves chimériques, Joy devient l'inventeur d'un balai "qui s'essore tout seul".
"Joy" de David O'Russell n'est jamais là où on l'attend et, l'affiche aidant, on est persuadé qu'il va s'agir ici de reconstituer le couple qui a tellement bien marché dans "Happiness Therapy". Eh bien, on peut le dire : non ou alors hypothétiquement, bien après la fin du film.
Et puis, il faut souligner le "bon esprit" de David O'Russell dans une Amérique où le "cinéma de gauche" s'est autant droitisé que son homologue français. Car, au lieu d'attribuer Cooper à Lawrence, il lui colle - pour le meilleur et pour le pire - Edgar Ramirez, rescapé du "Carlos" d'Olivier Assayas, et pas vraiment le modèle du "WASP" chargé de faire le pendant avec la jolie blonde.
Son antiracisme n'est pas feint, puisqu'il multiplie les couples mixtes et se permet même la fantaisie d'appairer Robert de Niro avec Isabella Rossellini, alors que le premier est un garagiste fauché et la seconde la veuve d'un millionnaire. Encore plus croustillante sera la rencontre de la mère de Joy, bimbo quinquagénaire se nourrissant exclusivement de séries californiennes très conformistes, avec un plombier haïtien.
Autre originalité de David O'Russell, dans l'arnaque très complexe qu'il fait déjouer à la rusée ménagère au balai magique, et qu'il explique très clairement à ses spectateurs, le méchant n'est pas le Chinois prête-nom mais le Texan...
"Joy" de David O'Russell est donc un film à la fois populaire et, comme "Happiness Therapy" ou "American Bluff", une plongée transversale dans les États-Unis d'aujourd'hui. On y sent l'esprit qui souffle chez les étasuniens de la classe moyenne, pris entre l'espoir de plus en plus hypothétique d'être les élus du "rêve américain" et la peur de tomber bien bas dans le déclassement social.
Il faut, dérision dérisoire, être une néo-sorcière blonde et prête à se couper les cheveux pour, à l'aide d'e son drôle de balai en plastique, faire fortune.
On souhaite à David 0'Russell d'être longtemps oublié parmi les dits cinéastes importants américains. Il pourra ainsi continuer à creuser un chemin cinématographique qui peut le mener très loin, c'est-à-dire très près des grands maîtres qui semblent l'inspirer, Cukor, Minnelli et Ford. C'est peu dire qu'on lui place la barre très haut. |