Concert-spectacle des Dakh Daughters mis en scène par Vlad Troitskyi, interprété par Nina Harenetska, Ruslana Khazipova, Tanya Havrylyuk, Solomia Melnyk, Anna Nikitina et Zo.
Le groupe ukrainien Dakh Daughters, qui tourne à l'international avec succès depuis 2013, n'est pas né spontanément de l’effervescence artistique scène contemporaine ukrainienne.
En effet, il constitue un side-project musical du Théâtre Dakh, lui-même intervenant dans le cadre du Centre of Contemporary Arts de Kiev fondé et dirigé par le comédien, pédagogue et metteur en scène Vlad Troitskyi connu en France par trois opus récemment présentés -"Vii - Le Roi Terre", "Le Roi Lear - Prologue" et "La Maison des Chiens" et "La Maison des Chiens" - qui est également le fondateur du festival multidisciplinaire GogolFest destiné à la promotion de l'Ukraine.
Profondément ancré dans la culture ukrainienne traditionnelle, son travail artistique témoigne de l'âme archaïque de l'Ukraine, appréhendée comme un pays-monde qui navigue, indique-t-il, "entre mythes païens des Carpates et évangiles apocryphes russo-ukrainiens", comme il revisite son histoire contemporaine à fin d'affirmation d'une culture nationale, bâillonnée pendant la période soviétique, qui s'ouvre sur le monde.
Au plan musical, cela se concrétise par la création d'une nouvelle musique ukrainienne qui va au-delà du procédé de la world fusion en phagocytant des rythmes extra-nationaux.
Ainsi, comme Dakha Brakha, dont le répertoire en sus composé de chants rituels préchristianiques, importe l'électro et le dubstep, les Dakh Daughters, constitué sur le mode d'un girl-band déclinaison riot grrl, introduisent, entre autres, punk-rock, rap et ska, qu'elles pratiquent dans des projets musicaux personnels, appliqués à des textes, chansons ou poèmes, d'auteurs essentiellement ukrainiens ce qui aboutit à un cocktail explosif et dissonant en sus dispensé en plusieurs langues.
Composé de comédiennes, chanteuses et musiciennes multi-instrumentistes qui furent élèves de Vlad Troitskyi avant d'intégrer la troupe du Théâtre Dakh, ce sextet féminin pratique donc un syncrétisme musical survitaminé qui contribue à une identité culturelle affirmée et revendiquée, dont elle se font l'étendard en brandissant le drapeau national bleu et jaune lors du final d'un spectacle qui s'ouvre avec le morceau au titre explicite "Rozy/Donbass", et musicale unique totalement addictive.
Par ailleurs, s'ajoute une identité visuelle forte qui, elle aussi, résulte du mélange des genres. Maquillées façon poupée de porcelaine au teint blanc et avec des pastilles roses sur les joues à la Colombine mais combinées avec des yeux charbonneux et les longs faux cils qui évoquent le cabaret burlesque des années 1930, elles se jouent des clichés de la la féminité sexy en arborant jambières noires et solides godillots avec une nuisette de baby-doll et le tutu de ballerine pour finir en "bathing beauties".
Cela étant l'unicité de costumes, à l'exception de l'ornement de tête différent, n'est pas synonyme de clonage et le tempérament comme la sensibilité de chacune s'expriment notamment lors de l'interprétation en solo.
Leur "Freak Cabaret", le terme freak ne devant pas être entendu selon le sens courant de monstre de foire mais le sens "ukrainien" qui est celui de la liberté d'expression subversive qui se traduit par une performance exploratoire, constitue un concert-spectacle qui s'inscrit dans la tradition du théâtre musical et dramatique ukrainien.
Il se déroule comme un enchaînement de tableaux dramatiques, qui racontent des histoires d'amour, de guerre, de mort, de la condition ouvrière, des femmes, de la bétonisation et de Dieu, avec une mise en scène orchestrée par leur mentor et directeur artistique Vlad Troitskyi - les lumières de Mariia Volkova, qui empruntent au show musical, la scénographie-vidéo de Maksym Poberezhskyi avec des projections, sur kakémonos faisant office tant de décor de scène que d'inserts illustratifs, des motifs de broderie, de vitraux et de peintures aux images d'archives - qui assure également une direction d'acteur millimétrée
L'interprétation est à l'avenant : maîtrisant leurs instruments, corps et voix, et toutes les diciplines comme les clavier, contrebasse, violoncelle, percussions et autres, les Dakh Daughters - Nataliya Halanevych, Tetiana Havrylyuk, Ruslana Khazipova, Solomiia Melnyk, Ganna Nikitina et Nataliia Zozul - investissent la scène en combattantes. Et le public est conquis. |