Comédie dramatique de Lauren Houda Hussein, mise en scène de Ido Shaked, avec Lauren Houda Hussein, Sheila Maeda, Caroline Panzera, Mexianu Medenou, Raouf Rais, Arthur Viadieu et Charles Zévaco.
Le Théâtre Majâz ("métaphore" en arabe) est composé de comédiens de diverses cultures et origines. Cette compagnie revendique un théâtre engagé dans lequel la mémoire collective est interrogée en tant qu'oeuvre d'art.
Leur nouveau projet, après "Les optimistes", s'intitule "Eichmann à Jérusalem". Il porte sur le procès d'Adolph Eichmann, dit "le spécialiste", à Jérusalem en 1962. Ce procès s'était déroulé dans une salle de théâtre, La Maison Du Peuple, reconvertit pour l'occasion en tribunal.
Lauren Houda Hussein, auteur de la pièce, met alors en perspective, à travers des extraits du procès interprétés par les acteurs, la construction d'une mémoire collective en interrogeant le processus dramatique propre au procès Eichmann. Bien que la couleur dominante de la scène soit le noir, le plateau est habillé d'objets quotidiens pour un employé d'administration, table, chaises, placards, rétroprojecteur et surtout des tonnes de dossiers qui comportent aussi bien les minutes du procès que écrits comme ceux d'Hannah Arendt ou de Primo Levi.
Les méthodes d'Eichmann, en raison de sa parfaite connaissance des obligations administratives de chaque pays pour la déportation, sont exposées en chiffres ou en diagrammes. L'organigramme de l'organisation chargée de la déportation au sein du Reich est dessiné à la craie sur le plateau durant le spectacle comme une pièce dans le dossier d'un jugement au tribunal des prud'hommes.
Eichmann, "bourreau ordinaire", dont la défense consistera tout au long du procès à expliquer qu'il exécutait les ordres et ne pouvait infléchir la politique d'extermination à son niveau, n'est d'ailleurs pas incarné sur scène. Les acteurs, chacun leur tour, prononcent des paroles qu'Eichmann a tenu pour sa défense. Ainsi déconstruit, il s'impose en chacun des acteurs, révélant ainsi pour le spectateur une vision de la défense d'Eichmann selon laquelle les responsabilités sont complètement diluées.
La mise en scène d'Ido Shaked est en ce sens une complète réussite. La scénographie dans laquelle l'action se déroule sur un plateau monté sur rivets, donne l'impression d'un manque généralisé de stabilité. La parole n'est pas définitive, elle est sujette à interprétation et à sa déformation en fonction de qui voudra se l'approprier. Les acteurs portent tous le texte avec solidité. Chacun d'entre eux montre des facettes différentes de l'humain, victime ou bourreau. Ils apportent la démonstration que l'abominable est encore possible aujourd'hui, à grand ou petite échelle, dans l'Histoire ou au quotidien. On ne voit pas le temps passer lors de cette pièce qui, malgré son sujet philosophique autant qu'historique, pourrait a priori sembler rébarbative. "Eichmann à Jérusalem" est un moment de théâtre intelligent destiné à chacun. |