Comédie romanesque de Marivaux, mise en scène de Daniel Mesguich, avec Sarah Mesguich, Fabrice Lotou, Sterenn Guirriec, William Mesguich, Alexandre Levasseur, Rebecca Stella et Alexis Consolato.

"Le Prince Travesti" ou "L’Illustre Aventurier", pièce atypique et composite de Marivaux, a révélé , et consacré, Daniel Mesguich, vingtenaire frais émoulu du CNSAD et enfant terrible du théâtre dont, en son temps du début des années 1970, fut louée l'audace.

Quatre décennies plus tard, il fait encore preuve d'audace au regard de la scène contemporaine mainstream engluée dans le show théâtral, la recontextualisation souvent potache, la vidéo et la musique invasives en restant attaché à l'illusion théâtrale et au fameux quatrième mur, donc à la conception d'un théâtre souvent qualifié péjorativement de "classique".

Tout simplement, comme il conclue sa note d'intention : "...je cherche, une fois de plus, à mettre en scène le théâtre". Et le théâtre commence avec son dispositif scénique qui comporte un cadre d'avant-scène avec feuillage doré et les rideaux de velours grenat du théâtre à l'italienne. Ainsi livre-t-il un magnifique moment de théâtre, placé sous le signe du baroque flamboyant qu'il affectionne, et un spectacle indispensable, d'autant qu'il ressort à la curiosité, qu'il s'avère virtuose pour mettre en scène.

En effet, cette partition polymorphe constitue un véritable exercice de style qui, outre les récurrences thématiques et les joutes rhétoriques marivaudiennes notamment quant au discours amoureux, hybride tous les genres, de la commedia dell'arte à la tragédie, sur une trame de comédie romanesque "à l'espagnole" mâtinée de fantaisie shakespearienne tout en combinant intrigues amoureuses et politiques soumises au dilemme racinien et au drame cornélien et annonçant le drame romantique.

Dans un royaume imaginaire, une princesse à l'âme violente (Sarah Mesguich) doit choisir entre le mariage de raison avec un roi (Alexis Consolato) qui se présente travesti en ambassadeur et l'élu de son coeur, un roturier valeureux, Lélio (Fabrice Lotou) au demeurant prince travesti, dont elle finit par apprendre qu'il nourrit un amour partagé avec la jeune princesse aux beaux yeux de lumière (Sterenn Guirriec), ce qui va attiser sa jalousie puis sa fureur.

En, contrepoint et pour compliquer l'argument, interviennent deux figures manipulatrices, Arlequin (Alexandre Levasseur), le serviteur de Lélio qui n'a d'autre maitre que lui-même et qui comme sa mie Lisette (Rebecca Stella) ne songe qu'à l'argent pour s'établir à son compte, et l'intrigant conseiller (William Mesguich)

Quand les rideaux s'ouvrent, apparaît, sur un plateau plongé dans la semi obscurité, le décor élaboré par Camille Ansquer constitué d'une pluralité de miroirs qui évoque tant la galerie des glaces d'une demeure royale que le palais des glaces de fête foraine et le dédale labyrinthique des passions et des intrigues.

Vêtus d'ébouriffants costumes confectionnés par Dominique Louis qui puise tant dans l'iconographie des contes de fées que celui de la High Fantasy, tels le déguisement de "petite princesse" avec diadème pour la brune princesse, la robe orientalisante à la Shéhérazade pour sa blonde amie, celle de Fée Clochette pour Lisette ou le spectaculaire costume reptilien pour le fourbe, les comédiens, tous au diapason et bien distribués, sont dirigés au cordeau .

Daniel Mesguich a opté pour une judicieuse mise en scène opératique qui sied au merveilleux sous-tendant la pièce, celui-ci étant signifié par un bref effet sonore ou lumineux, et lorsque le noeud des confrontations doit se dénouer, avec une seconde mise en abîme, use d'un jeu positionnel qui, par ses déplacements irréalistes, évoque la composition échiquéennne.

Maîtrisé, furieusement intelligent... et brillant !