Réalisé par Frederick Wiseman. Etats-Unis. Documentaire. 3h10 (Sortie le 23 mars 2016).
Avec "Boxing Gym" (2010), "In Jackson Heights" est certainement l'un des meilleurs documentaires de la dernière période du grand maître Frederick Wiseman.
Fidèle à sa méthode inaugurée il y a une cinquantaine d'années, il aime s'attarder à la description d'institutions ou de lieux où se dévoilent la réalité des sociétés occidentales dites démocratiques.
Adepte de longues plongées en apnée au cœur du sujet qu'il a choisi, il n'hésite pas à concevoir des films-fleuve comme "In Jackson Heights" et ses 190 minutes.
Mais, sachant toujours éliminer le "gras" et ne s'autorisant aucune complaisance, le temps "wisemanien" ne semble jamais lent ni long. Au contraire, on est presque prêt à en redemander quand l'expérience s'achève.
Ici, toujours sans commentaire off, avec le seul poids des mots saisis dans les moments filmés qu'il a gardés, on va découvrir un quartier de New York, "Jackson Heights", qui n'est pas souvent à l'honneur ni dans les fiction ni dans les documentaires.
C'est sans doute le quartier le plus vivant de la "Grosse pomme", puisque c'est celui qui accueille les derniers "invités" étasuniens.
Latinos, Haïtiens, Pakistanais s'y côtoient parmi d'autres races, ethnies, religions. On y recense 167 langues différentes. La caméra de Wiseman, en quelques plans, saisit cette diversité qui fait de "Jackson Heights", une grouillante Babel, chaleureuse et colorée.
Mais, comme toujours, rôdent les empêcheurs de vivre heureux et cet îlot cosmopolite est lorgné par les promoteurs immobiliers qui, comme dans toutes les mégalopoles, comptent d'abord sur les "bobos" qui aiment jouer les défricheurs pionniers et dont la présence, somme toute bienveillante, contribue toujours à amorcer le mouvement qui permet de chasser les pauvres et les différents.
Dans "In Jackson Heights" de Frederick Wiseman, on suivra avec grand intérêt des discours de défenseurs du quartier qui expliquent comment l'action commune des politiques de rénovation urbaine municipales et les agents immobiliers sont de mèche pour transformer ce quartier en quartier comme les autres.
Mais Wiseman ne montre pas qu'un aspect de Jackson Heights. On y savourera des moments truculents comme celui où un "professer pour taxis" explique aux conducteurs novices comment appréhender la ville en quelques cours qui valent bien des one-man-show comiques.
On y découvrira également des choses plus émouvantes, comme ces scènes tournées dans une synagogue, en partie déjà aménagée à d'autres usages – parmi lesquels l'accueil des homosexuels – et qui vit sans doute ses derniers moments avec sa population clairsemée et vieillissante, les autres membres de la communauté ayant abandonné ce quartier où ils n'ont plus leur place.
Les amateurs français de New York qui sont légion, semblent peu connaître cette petite Babylone. Nul doute que "In Jackson Heights" de Frederick Wiseman leur fournira l'envie de s'y rendre.
Comme les cinéphiles ne devraient pas manquer cette somme qui est aussi une belle entrée dans l'univers d'un créateur majeur dont l'oeuvre est aussi imposante que passionnante. |