Comédie dramatique Jacques et Olivier Treiner, mise en scène de Vincent Debost, avec Romain Berger, Benoit Di Marco, Christian Francois, Alexandre Lachaux, Stephane Lara et Marie-Paule Sirvent.
Les échanges entre les scientifiques allemands qui avaient participé au "Projet Uranium" (Uranprojekt), sous la direction de la Wehrmacht, quelques mois après la découverte de la fission nucléaire par le physico-chimiste Otto Hanh, sont au cœur de "Fission".
Alors que la seconde guerre mondiale se termine en Europe, mais que les combats continuent sur le front Pacifique, quatre scientifiques ont été mis au secret par les forces britanniques et sont retenus dans la campagne anglaise, près de Cambridge. Ils ont chacun joué un rôle prédominant dans la recherche nucléaire de l'Allemagne alors dirigée par Hitler, mais ont échoué à réaliser la bombe atomique avant les Américains. C'est en captivité qu'ils apprennent qu'une bombe A a été lâchée sur la Japon.
Durant leur captivité, leurs échanges ont été enregistrés par les Services Secrets de Sa Majesté, ce qui permet aujourd'hui aux historiens de savoir ce qu'ils se sont dit. Ils échangent des souvenirs concernant leurs recherches, expriment leurs peurs, leurs doutes. Certains refont l'histoire. Ils s'interrogent aussi sur leur responsabilité morale après le bombardement d'Hiroshima.
Ecrite par le physicien Jacques Treiner, ancien professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, et Olivier Treiner, "Fission" aborde donc la question de la responsabilité morale de la science face à l'Histoire à travers le nucléaire, une technique qui a permis des avancées scientifiques majeures dans le domaine médical, dans les transports, la recherche spatiale, dans la fabrication d'énergie civile, mais qui, au-delà de ses usages militaires, a aussi entraîné des catastrophes, comme Tchernobyl ou Fukushima et reste une menace en cas d'attaque terroriste avec une bombe sale.
Ce texte brillant, simple mais extrêmement renseigné, est une excellente façon d'aborder cette page méconnue de l'Histoire.
La mise en scène de Vincent Debost est dynamique, utilisant avec finesse la scénographie imaginée par Pascal Crosnier-Beretti. Les personnages apparaissent et disparaissent derrière des panneaux noirs permettant de passer rapidement d'une scène à une autre.
Quant aux acteurs, interprétant des personnages de scientifiques austères, tous vêtus de costumes gris, que dire d'autre sinon qu'ils rayonnent. Ils sont à l'aise dans tout le spectre d'émotions que peuvent exprimer leurs personnages, peur, culpabilité, réflexion intense, grandeur ou mesquinerie.
Au-delà de l'intérêt de l'histoire de la fission atomique, de ses premiers usages et de la responsabilité morale des scientifiques, "Fission" ouvre à une réflexion sur tout ce qui régit les fameux principes de précaution pour les découvertes scientifiques aujourd'hui d'actualité dans notre monde moderne (clonage humain, nanoparticules utilisées par les industries agroalimentaires, organismes génétiquement modifiés...). D'autant que ces découvertes sont désormais l'oeuvre d'intérêts privés, et donc ignorées du législateur.
Pièce intéressante par son sujet historique et éloquente par son contenu, mise en scène et interprétée de façon à tenir le spectateur en haleine, c'est par les pistes de réflexion qu'elle ouvre qu'elle se révèle encore plus passionnante et dérangeante. |