Monologue dramatique écrit et mis en scène par Guillaume Lambert interprété par Lucie Leclerc.
Difficile de rendre compte de ce flot de mots, de ce flux d'idées... "L'âme rongée par des foutues idées", c'est d'abord un vers, à un mot près, d'une chanson très forte de Léo Ferré, "Les Anarchistes", qu'on peut entendre dans cet album noir enregistré en public dans lequel chaque propos acéré suscite des applaudissements nourris.
On est en 1969, juste après les "événements de mai" et dans la pièce de Guillaume Lambert, qui n'est pas datée ni située, on pourrait très bien être à cette époque charnière où Pompidou a ou va succéder à De Gaulle.
Dans son pays imaginaire, qui ressemble beaucoup à cette époque où la France a un pouvoir fort affaibli, une opposition plus syndicale que politique qui se substitue à une gauche éparse, il y a une troisième force : la rue. Une rue où bruit l'utopie d'une jeunesse en effervescence.
Ici, elle est incarnée par une jeune femme protéiforme qui va et vient, infiltrée dans les sphères étatiques en supposée décomposition et les lieux de révolte qui s'imaginent en avant-garde révolutionnaire...
Ce qui est remarquable dans le travail de Guillaume Lambert, c'est qu'il condense ce temps éphémère du gauchisme qui a le vent en poupe et qu'il lui ajoute les interrogations d'aujourd'hui. Par moments, on pourrait se croire en direct de la "Place de la République".
Sous-titré "thriller politique", "L'âme rongée par des foutues idées" sidère par son audace formelle. Porté par la voix de Lucie Leclerc, conteuse de la colère qui gronde ou témoin saisi par le cynisme des dominants, c'est une envoûtante danse de vie et de mort qui prend chair dans cette pénombre subtilement créée par Gauthier Ronsin. Ira-t-on vers la lumière d'un monde nouveau ou replongera-t-on dans le noir des forces obscures ?
Sur cette scène où le sol est encombré de tracts, y aura-t-il de la place pour dessiner à la craie les belles choses de l'imagination ou simplement les slogans manichéens annonçant la victoire de la haine ?
On se plaint que les arts ne soient pas assez à l'écoute politique de leur époque. "L'âme rongée par de foutues idées" est l'expression du contraire. On y sent le vent d'une époque finissante. Symptôme sans démagogie, ce spectacle n'assène pas sa vérité ni n'est à la traîne de l'ère du temps.
C'est une vraie proposition artistique qui ne doit pas se lire au pied de la lettre, mais interroger. Longtemps on gardera en tête la fragilité bien tempérée de Lucie Leclerc et les échos de la parole de Guillaume Lambert. Une belle parole théâtrale dont on attend déjà avec impatience les futures métamorphoses. |