Réalisé par Wang Xiaoshuai. Chine. Thriller. 1h45 (Sortie le 4 mai 2016). Avec Lü Zhong, Shi Liu, Feng Yuanzheng, Hao Qin, Amanda Qin, Su Ying Huang, Hailu Qin et Ran-ran Li.
Depuis une vingtaine d'années, Wang Xiaoshuai présente ses films dans les grands festivals occidentaux où il collectionne les prix prestigieux.
Ce premier de la classe chinoise propose un cinéma immédiatement déchiffrable , aux histoires simples et fortes, souvent situées pendant la "Révolution culturelle", époque qu'il a lui-même dans son enfance ou sa pré-adolescence.
Le dernier que l'on avait vu de lui, "11 fleurs", parlait justement des conséquences de cette époque-clé du maoïsme. On y suivait une famille d' "intellectuels" contrainte d'habiter à la campagne et d'y exercer des activités manuelles, dans une atmosphère de pénurie, voire de famine, qui en firent une période tragique de l'histoire chinoise des années 1960-1970. Parallèlement, on découvrait comment les enfants de ces déplacés vivaient livrés à eux-mêmes une enfance somme toute heureuse.
Dans "Red Amnesia", le héros principal, dont l'existence se heurte à l'Histoire avec une majuscule est, cette fois-ci, une vieille femme, Deng, une femme au beau visage digne et fermé.
Contrairement aux enfants de "11 fleurs", ce qui lui arrive n'est pas le fruit du hasard. Ces "fantômes" qui ressurgissent sont les fruits d'un passé oublié, ou qu'elle a tout fait pour oublier.
"Red Amnesia" de Wang Xiaoshuai ressuscite une atmosphère qu'on pourrait qualifier d' "antonionienne". Ce qu'elle voit, ce qu'elle découvre, ce qu'elle croit voir, ce qu'elle croit découvrir, ce que le spectateur voit ou croit voir comme elle, a-t-il un sens, une existence ? Est-ce un fantasme provenant de son imagination ou une réalité tangible ?
Comme dans "Blow up", la réalité perçue par Deng est flottante. Pour retrouver la mémoire, percevoir le vrai du faux, elle doit accepter de faire face à son passé et d'en faire part à son entourage.
Ses enfants et petits-enfants, parfaits post-Chinois, déjà lancés dans l'ère moderne, pour qui elle jouait à la mère ou grand-mère idéale, vont l'aider à percer à jour sa "rouge amnésie" en l'aidant à revenir sur les pas qu'elle a effacés pour qu'ils puissent, eux, foncer sans se poser de question vers un monde sans passé...
"Red Amnesia" de Wang Xiaoshuai organise dès lors un voyage vers des temps enfouis dans toutes les mémoires, pas seulement dans celle de Deng.
Retour donc dans ces cités maintenant fantomatiques où bien des Chinois avaient été déportés pendant la "Révolution Culturelle". Cette fois-ci, pas pour les décrire, mais pour évoquer le sort de ceux qui sont restés, pendant que d'autres, dont Deng est l'exemple survivant, réussissaient à s'en échapper... Quel prix fallait-il payer pour ne pas être comme ses zombies qu'elle entrevoit une dernière fois ? Quelle trahison a-t-elle été obligée de commettre ?
Dans le dédale d'une cité perdue, peuplée de fantômes autant que de vivants oubliés, Wang Xiaoshuai donne à son récit valeur de témoignage, ouvre la boîte de Pandore où se cachent plus que des souvenirs recouverts sous la poussière d'une commode amnésie.
"Red Amnesia" de Wang Xiaoshuai est un film qui, de l'extérieur, dessine le portrait puissant d'une femme chinoise magnifiquement interprétée par Lü Zhong. On imagine que pour les Chinois qui l'ont vu, c'est un véritable choc historique.
Toute l'oeuvre, salutaire, de Wang Xiaoshuai a pour enjeu de rétablir des vérités, de réveiller des amnésiques. Il affirme clairement qu'un pays qui ne connait plus son histoire, ou qui s'emploie à la refouler, n'a pour avenir que de nouvelles catastrophes.
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