Comédie dramatique d'après l'oeuvre d'Anton Tchekhov, adapation et mise en scène de Julie Deliquet, avec Florence Viala, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Noam Morgensztern, Anna Cervinka et Dominique Blanc.
"Vania" de Julie Deliquet a-t-il à vraiment à voir avec "Oncle Vania" d'Anton Tchekhov ? Si on le compare à d'autres versions de la pièce, on est vite tenté de répondre négativement. D'autant qu'une des premières répliques prononcés par Vania critiquant le professeur, son beau-frère, est : "Il ressemble à Peter Ustinov dans Mort sur le Nil". Pareillement, sur la table qui occupe presque toute la scène et autour de laquelle est distribué le public, il y a des bouteilles de vin français et aucun élément notoirement "russe". Qu'on ne s'attende pas non plus à un samovar : ici, on boit du café issu d'une cafetière électrique à filtre.
Ce parti-pris de casser "l'ambiance" russe n'est pas en soi gênante, même si, sans son contexte "habituel", "Vania" perd beaucoup de sa logique. Au lieu d'une véritable interaction entre les personnages, "Vania" fait cohabiter plusieurs intrigues de manière autonome et renverse leur ordre de priorité. Ainsi l'affrontement entre l'oncle Vania (Laurent Stocker) et le professeur (Hervé Pierre) qui se cristallise sur la vente du domaine passe au second plan. Devient majeure l'idylle en pointillé entre Elena (Florence Viala), la femme du professeur, et le docteur Astrov (Stéphane Varupenne), alors que les personnages de Sonia (Anna Cervinka), la fille du professeur, de Maria (Dominique Blanc), sa grand-mère et mère de Vania et de Tiéléguine (Noam Morgensztern) perdent de leur consistance. Dans cette version sans époque précise, où le professeur commente longuement "Vampyr" de Carl T. Dreyer, film qui est projeté et fait l'objet d'une discussion générale, on pourrait voir dans la passion supposée d'Elena et du docteur Astrov quelque chose de cinématographique. La robe à fleurs d'Elena fait penser aux tenues de Jessica Lange dans "Le Facteur sonne toujours deux fois", suggérant que le vrai drame "torride" qui pourrait survenir n'est pas entre Vania et le professeur, mais entre celui-ci et le docteur. Avec son dispositif bi-frontral, son lieu unique, l'adaptation de Julie Deliquet nie un élément fondamental qui traverse l'oeuvre de Tchekhov : le poids du temps, sa lenteur, l'usure qu'il provoque chez les hommes physiquement et mentalement, surtout quand ils sont soumis à la monotonie saisonnal des travaux agricoles. Dès lors, si l'on met de côté la parenthèse "Dreyer", c''est à tout allure que se déroule "Vania". D'ailleurs, il y a sur scène, une horloge qui indique l'heure parisienne, celle de la représentation. L'un des personnages donnera ainsi le top départ à 20 h 35 alors qu'un autre signalera, à 22 h 10, qu'il est l'heure de séparer. Plus "appropriation" qu'"adaptation", "Vania" mis en scène par Julie Deliquet fonctionne si l'on ne lui tient pas rigueur de s'éloigner de Tchekhov au profit d'un exercice de pur divertissement avec une troupe de comédiens qui s'y prête de bonne grâce, Laurent Stocker et Hervé Pierre en tête. |