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puce Sacrifice - Dahlia noir & Rose blanche
Joyce Carol Oates  (Editions Philippe Rey)  octobre 2016

Joyce Carol Oates nous revient en ce doux mois d’octobre avec deux livres édités aux éditions Philippe Rey, un roman d’abord, Sacrifice et un recueil de nouvelles, Dalhia noir & Rose blanche. A la lecture de ces deux superbes livres, ce doux mois d’octobre devient enchanteur.

On ne présente plus Joyce Carol Oates tant la longueur de sa bibliographie est à la hauteur de son talent littéraire. Joyce Carol Oates, c’est des prix littéraires à foison, le National Book Award, roman des lecteurs Point en 2015, grand prix de l’héroïne figaro magazine en 2011, prix Femina étranger en 2005. Tour à tour poétesse, nouvelliste, romancière ou dramaturge, Joyce Carol Oates occupe depuis longtemps une place au tout premier rang des écrivains contemporains. Membre de l’Académie américaine des arts et des lettres, avec plus de 50 livres écrits sous son nom, sans compter ceux écrits anonymement, l’auteure américaine, tous les ans pressentie pour obtenir le Nobel de littérature (aux côtés des grands Haruki Murakami et autre Philip Roth, pour ne citer qu’eux) continue de nous émerveiller par ses mots, continuant la construction de son immense œuvre littéraire. Pourvu que cela dure…

Sacrifice est un livre basé sur un fait divers bien réel, l’affaire Tawana Brawley, dont le prétendu viol au milieu des années 80 se révèlera une vaste supercherie. Le livre débute par la présence d’une mère afro-américaine paniquée, demandant aux passants dans la rue s’ils ont vu son bébé, son enfant, Sybilla, disparue depuis plusieurs jours. N’ayant aucune confiance en la police, "la police c’est les blancs" pour elle, elle refuse de déclarer sa disparition, pensant qu’elle est peut-être partie chez des amies.

La petite, pas si petite que cela (âgée de 15 ans) est retrouvée quelques jours plus tard, dans une usine désaffectée, par une enseignante qui, entendant des gémissements (qu’elle croit venir d’un chat agonisant), se décide à aller vérifier d’où viennent ces bruits suspects. La jeune fille est retrouvée ligotée, bâillonnée et recouverte d’excréments d’humains et d’animaux. Abandonnée à la mort par ses bourreaux, après avoir été battue et violée, elle ne doit son salut qu’à cette professeure. Sur son corps des inscriptions racistes renvoient l’Amérique à ses vieux démons. Choquée, suspicieuse vis-à-vis des policiers blancs, la petite et la mère refusent les analyses médicales et se murent rapidement dans le silence, après avoir néanmoins difficilement incriminés 6 blancs dont un policier. La mère et la fille quittent l’hôpital et ne donnent plus de nouvelles. Elles ne portent pas plainte et s’isolent de tous, même de la professeure qui l’a retrouvée. Cette policière ainsi que d’autres personnes aimeraient intervenir mais face au mutisme de cette jeune victime ainsi que celui de sa mère, il est impossible de faire avancer l’enquête. Seule l’arrivée d’un révérend les fera sortir de ce mutisme.

Le livre pourrait alors rapidement se diriger vers un polar classique, à la recherche des coupables, avec des rebondissements et des fausses pistes mais l’ambition de l’auteure est tout autre. L’ambition de Joyce Carol Oates n’est pas de remonter le fil de ce fait divers pour y trouver les coupables (les vilains blancs) mais d’y montrer l’instrumentalisation politique et personnelle d’un viol (qui apparaît de moins en moins plausible au fil du livre) par des blancs sur une jeune fille noire.

L’auteur construit son récit autour d’un vaste puzzle polyphonique à travers les témoignages et points de vue des différents protagonistes de l’affaire. Evidemment, ces témoignages et points de vue diffèrent en fonction de leurs intérêts dans l’affaire mais aussi de leurs doutes (concernant la véracité du viol) mais aussi de leurs calculs (la plupart du temps politiques ou religieux). Les faits y sont donc diversement interprétés, parfois modifiés d’un témoignage à l’autre.

On y retrouve celui de la policière chargée de l’enquête, tiraillée entre la compassion et la suspicion, celui de l’enseignante qui a retrouvée la petite, celui du beau-père, personnage intrigant un peu lâche, condamné il y a longtemps pour violences aggravées sur son ex-femme et laissant penser qu’il a peut-être une certaine responsabilité dans l’affaire. Dans l’histoire originale, la jeune fille avait inventé ce viol pour éviter les foudres de son beau père violent pour un motif futile.

Et puis il y a les vautours, ceux qui instrumentalisent l’affaire, ce révérend (celui qui va lancer l’affaire médiatiquement et sortir mère et fille du mutisme), qui sent le bon filon à exploiter pour véhiculer ses idées contre les blancs, le tout sous couvert de grands principes civiques. Il y a aussi son frère jumeau, avocat à l’ambition dévorante et un leader musulman, le prince noir, prêt à profiter de cette histoire pour lui donner une dimension religieuse. La vérité importe peu à ces leaders religieux, les médias s’en soucient tout aussi peu et les faits se révèlent progressivement de plus en plus troubles.

Sans verser dans un manichéisme primaire, Joyce Carol Oates, à travers son roman, nous parle de la société américaine toujours pas soignée des problèmes posés par la question raciale. Sacrifice devient alors une vaste et brillante réflexion sur le contexte racial, social et politique d’une Amérique où la police, dans certains Etats, encore aujourd’hui, continue de tirer sur des populations noires en toute impunité.

Le second livre, Dahlia noir & Rose blanche, est un recueil de 11 nouvelles sombres, qui pour certaines, comme le roman Sacrifice, sont le fruit de faits divers. Je dois bien avouer que je ne suis pas un grand amateur de nouvelles, mis à part celles de Bernard Quiriny qui excelle dans l’exercice (vous pouvez vous jeter sur son livre Contes Carnivores qui est une pure merveille de drôlerie). Il est surprenant de voir une auteure sortir simultanément deux livres, un roman et des nouvelles, prenant le risque que l’un, ici le très réussi Sacrifice, occulte l’autre. C’est le cas ici, puisque Sacrifice recueille chez les médias de nombreuses très bonnes critiques pendant que la sortie du recueil de nouvelles passe presque inaperçue chez ces mêmes médias. C’est bien dommage car ce Dahlia noir & Rose blanche mérite amplement que l’on s’attarde un peu dessus du fait de ses nombreuses qualités.

Les thèmes sont variés, cela va de la perte d’identité, aux rapports mère-fille, à la servitude en passant par la violence. C’est parfois glaçant et / ou effroyable, souvent dérangeant et inventif mais inégal aussi car certaines nouvelles sont plus percutantes que les autres, ce qui est fréquent avec les recueils de nouvelles.

La première nouvelle, tournant autour du meurtre du Dahlia noir, est l’une de mes préférées, aux côtés de celle racontant les déboires d’une vieille prof dont le désir d’enseigner vire à la catastrophe et de celle nous narrant les tribulations d’un couple d’américain en pleine crise de la quarantaine à Rome. Joyce Carol Oates est, au travers de ses 11 nouvelles une fabuleuse spectatrice et analyste de la vie quotidienne qu’elle décortique ou dissèque, selon ses humeurs, pour notre plus grand plaisir. On prend peur, l’horreur est parfois présente, on s’amuse et on ne s’ennuie jamais. C’est ce qui fait le talent des nouvellistes comme Joyce Carol Oates.

En sortant simultanément ces deux livres, aux excellentes éditions Philippe Rey, l’auteure nous montre l’étendue de son travail d’écriture (cette femme dort-elle de temps en temps ?) et son incommensurable talent que cela passe par l’écriture de nouvelles ou celle d’un roman. Bob Dylan a obtenu le prix Nobel de littérature il y a quelques semaines au grand désarroi de nombreux médias injustes, Joyce Carol Oates devrait l’obtenir dans les années à venir tant elle le mérite…

 

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En savoir plus :
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Jean-Louis Zuccolini         
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