Après "Le Siècle du Jazz" qui proposait une traversée artistique du 20ème siècle avec le jazz pour fil rouge, le critique d'art Denis Soutif revient au Musée du Quai Branly avec "The Color Line" dont il assure le commissariat.
Sous-titrée "Les artistes africains-américains et la ségrégation raciale", cette exposition ambitieuse et inédite invite à une déambulation similaire pour retracer l'histoire artistique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis.
Nonobstant la polémique critique sur la mise en situation des oeuvres, le débat sur l'existence même d'un art spécifique à la communauté noire américaine, voire celle d'une identité noire américaine, et la querelle terminologique sur le politiquement (in)correct de l'expression "afro-américain" à laquelle s'est substituée celle d'africains-américains, la monstration s'avère réussie notamment quant à son propos générique qui ressort à l'usage de l'art en politique.
En effet, elle participe à la réflexion sur l'art et sa nature intrinsèquement ambivalente et au débat sur l'instrumentalisation de l'art au coeur des enjeux de la modernité artistique, quand, s'échappant du champ esthétique, il devient tant l'instrument d'une stratégie de domination permettant d'asseoir une autorité politique, tel dans le processus de construction nationale comme l'art mexicain dans la première moitié du 20ème siècle au coeur de l'exposition "Mexique" au Grand Palais, ou sociale par le marché de l'art et le mécénat, que, comme en l'espèce, un moyen de lutte politique contre les discriminations érigées ou avalisées par le pouvoir étatique.
The Color Line, le "black power" de l'art
Par son titre, l'exposition est placée sous l'obédience de William Edward Burghardt Du Bois historien, sociologue et militant de la première heure, président du Niagara movement puis fondateur de la National Association for the Advancement of Colored People, dont les couvertures de son magazine officiel "The Crisis" font l'objet d'un mur documentaire, qui écrivait à l'orée du 20ème siècle sur la problématique politique de "la ligne de partage des couleurs".
Elle se déroule selon un didactique parcours chrono-thématique qui scande le combat pour l'égalité des droits civiques bafouée par la ségrégation raciale qui a perduré dans l'Amérique post-esclavagiste.
Riche d'un nombre conséquent d'oeuvres et de documents originaux mis en espace dans la scénographie claire de "white cube" de Laurence Fontaine, elle permet de découvir les artistes qui se sont engagés individuellement ou au sein de mouvements artistiques tels le "Harlem Renaissance" des années 1920 et 1930 placées sous le signe du jazz et une de ses figures majeures, le peintre Aaron Douglas, puis le mouvement des "Civil Rights" des années 1945-1960 avec les leaders Martin Luther King et Malcolm X et des groupes activistes tel celui de "The Black Panther".
La pertinence de l'accrochage tient également à la mise en résonance d'oeuvres d'époque différentes comme l'installation "Autour du monde", oeuvre récente de Whitfield Lovell, avec des portraits des mobilisés africains-américains qui ont largement contribué à former les troupes de combat et la sculpture du boxeur ("Boxer" 1942) de Richmond Barthé qui s'approprie les codes de représentation à l'antique.
Au cours de la visite, trois constats s'imposent. D'une part, l'émergence d'un art initialement cantonné à la négritude dans un système d'apartheid qui s'exprime notamment dans la musique et le cinéma avec des films "pour noirs", les productions "all colored cast".
D'autre part, un panorama diversifié de l'engagement politique des artistes toujours présent même sous la forme la plus discrète tel David Drake, esclave potier qui, en 1859, signe de son nom une jarre de grès, qui ne sont pas tous militants pour des raisons tant historiques que personnelles.
Enfin, en ce qui concerne les arts plastiques, et plus précisément pour la peinture, l'affiliation à des mouvements artistiques majeurs, du réalisme à l'art conceptuel en passant par l'expressionnisme abstrait, avec les artistes contemporains qui ont accédé à la reconnaissance institutionnelle, critique et commerciale, au premier rang desquels l'iconique Jean-Michel Basquiat ("Foll's fetish")
L'exposition qui commence par un raccourci saisissant avec l'appariement d'une toile du milieu du 19ème siècle de Robert Duncanson (" Uncle Tom and litte Eva") et le "U.N.I.A Flag" du plasticien David Hammons,très prisé des collectionneurs, se clôt sur "L'Origine du monde" de Courbet revisitée à la manière du Nouveau réalisme par Mickalene Thomas. Pour boucler la boucle ? |