Comédie dramatique d'après l'oeuvre de Molière, mise en scène de Matthias Fortune Droulers et Ivan Herbez, avec Léa Dauvergne, Benjamin Duc, Matthias Fortune Droulers, Ivan Herbez, Anne-Sophie Liban et Bertrand Mounier.
Quand arrive au pied de la scène, un crieur de journaux à casquette annonçant la crise de 1929, on se demande un court instant si on va vraiment assister à une version de "George Dandin".
Mais, bien vite, on est rassuré : l'ambiance "États-Unis en plein Krach" choisie par Matthias Fortune Droulers et Ivan Herbez pour adapter "Le Mariage forcé" et "George Dandin" de Molière et n'en faire qu'une pièce ne nuit en rien.
Au contraire, ici, Molière ne se retournera pas dans sa tombe. Ses comédies en un acte qui bénéficiaient des ballets de Lully trouvent un substitut amusant quand les premières scènes se déroulent dans un Luna-Park ambiance Tod Browning, avec train fantôme, nain à cigare, sœurs siamoises et magicien peu doué.
Utilisant la salle pour les entrées et les sorties, les deux adaptateurs-metteurs en scène ont pris le parti d'éliminer autant que possible la théâtralité des deux textes. L
Le plateau est ainsi vide, et tout repose sur le jeu des lumières de Tamara Herbaud, qui peuvent éclairer un personnage, en retrouver d'autres venant de la salle. On n'a donc pas forcément les liens entre les scènes et les personnages, mais on les devine sans problème.
Jouée parfois au pas de charge, "Le Mariage forcé de George Dandin" respecte l'essentiel des tirades écrites par Molière et l'on vit avec intensité le drame de George Dandin, grand bourgeois joyeux et satisfait de lui-même, croyant faire un bon mariage en épousant une jeune aristocrate, et découvrant à son insu la société de classe du temps du roi Soleil.
Coincé entre les domestiques et les nobles, il vit les désagréments de cette "Société de cour" si cliniquement décrite par Norbert Elias. Quand il parle, on entend derrière lui quelques notes tirées de "The Cold Son" d'Henry Purcell. Accompagnement envoûtant dont le crescendo annonce fatalement le drame final.
Mais ce qui fait toute la beauté et la modernité du texte de Molière éclate aussi dans le personnage de l'épousée, Angélique. Aucun simplisme ici, et celle qui à qui on impose un mariage qu'elle ne désire pas, a bien raison d'user de tous les stratagèmes les plus déloyaux pour s'en délivrer. C'est sans doute l'un des plus beaux personnages de femme que l'on peut trouver dans l'oeuvre de Molière.
Benjamin Duc compose un George Dandin sans arrière-pensées, naïf au point de croire que l'on peut contracter un beau mariage hors de sa classe et qui, peu à peu,s'enfonce dans un cauchemar sans issue.
Léa Dauvergne n'est pas une Angélique rouée mais une amoureuse prête à soulever des montagnes et les lois sacrées du mariage pour rejoindre Clitandre (Matthias Fortune Droulers). Jamais, elle ne conçoit les scènes cruelles où elle berne son mari avec une quelconque dose de perversité.
Pas question de tomber dans la farce, ce sont les personnages qui entourent le couple qui s'en chargent, notamment les parents d'Angélique, Monsieur et Madame de Sotenville, paire savoureuse interprétée par Bertrand Mounier et Anne-Sophie Liban, dont appréciera l'abattage et qui par ailleurs est la créatrice inventive des costumes.
On n'oubliera pas non plus la prestation d'Ivan Herbez, jouant Claudine, la servante d'Angélique, et qui, pour se faire, a eu la bonne idée saugrenue de se travestir en soubrette.
Pas la peine de chercher la petite bête : tout fonctionne à merveille dans ce spectacle riche en trouvailles et qui fera forcément l'unanimité. Il aura aussi l'avantage de mettre en lumière une pièce de Molière qui n'est pas connue de tous et qui tranche par sa noirceur et par son féminisme.
"Le Mariage forcé de George Dandin" est la deuxième incursion de Matthias Fortune Droulers et Ivan Herbaz dans l'univers de Molière, après "Le Bourgeois gentilhomme" en 2015. Un ultime conseil : qu'ils continuent longtemps leur exploration heureuse de ce continent théâtral. |