Réalisé par Avishai Sivan. Israël. Drame. 2h (Sortie le 7 décembre 2016). Avec Aharon Traitel, Khalifa Natour, Riki Blich, Gur Sheinberg, Omri Fuhrer, Shani Ben-Haim, Dani Kedem et Zohar Oryah.
Attention ! Que ceux qui craignent la colère divine n'approchent pas de ce film, ne lisent pas cette critique... Car "Tikkoun" d'Avishai Sivan est judaïquement très incorrect.
Pourtant, comme dans son précédent film, "Le Vagabond", Avishai Sivan a situé l'action dans un milieu ultra-orthodoxe avec des personnages donnant toutes les garanties religieuses possibles.
Haïm-Aaron fait de brillantes études talmudiques dans une yeshiva de Jérusalem. Son père abat des animaux selon le rite cacher et nourrit une grande famille, remarquablement décrite, où tout le monde est élevé strictement dans la religion.
Mais Dieu a décidé de mettre ses enfants à l'épreuve et Haïm-Aaron, après un jeûne plus que sévère, s'écroule, cliniquement mort. Rien ne semble pouvoir le réanimer et les secours abandonnent pas la partie. Pas son père qui, au prix d'un massage épique où il met tout son corps de géant et son âme de croyant, réussit l'incroyable : la résurrection de son fils...
Dès lors, évidemment, tout va aller de travers. Haïm-Aaron va quitter le chemin de la rectitude morale et être tenté par l'autre monde, l'autre Israël, nocturne, profane, moderne.
"Tikkoun" d'Avishai Sivan est un film singulier comme on en voit vraiment très peu. Filmé dans un noir et blanc magnifique, il réussit d'étonnants contrastes entre la yeshiva et ses hommes tout en noir, l'abattoir et sa blancheur presque lumineuse.
Il se permet des plans de nuit d'une grande beauté pour suivre les errances d'Haïm-Aaron dans la vieille Jérusalem déserte. La pellicule devient aussi d'un gris métallique quand il fait du stop et se retrouve dans un paysage d'autoroute vide et silencieux.
Si l'on croit ce qu'on voit sur l'écran, le film paraîtra forcément plus près de Bunuel que de Kieslowski et l'on se demandera si l'on n'a pas affaire à une œuvre totalement subversive dénonçant l'hypocrisie religieuse.
Qui osera entrer dans cet univers extraordinaire assistera sans doute à l'une des plus belles scènes érotiques de l'histoire du cinéma ou peut-être de l'histoire de l'art. C'est d'ailleurs presque sacrilège à écrire : jamais avant Avishai Sivan, on avait filmé un sexe féminin aussi bien que Courbet n'en avait peint un dans "L'origine du monde".
Pire encore, que ce soit un étudiant en religion, revenu d'entre les morts, qui le contemple et le touche pudiquement, que ce sexe, en outre, appartienne à une jeune femme, morte à l'instant dans des circonstances très particulières, donne encore une dimension à cette transgression.
On le pressent, même sans encore avoir vu cette œuvre hors norme, Avishai Sivan ne filme pas pour rien et c'est un film dont on ressort transformé comme Haïm-Aaron après son retour d'entre les morts. Chacun y trouvera sens et pas forcément de quoi ricaner, même si, ici, l'humour peut être vraiment noir.
Aussi fort par son contenu que par sa manière de filmer, "Tikkoun" d'Avishai Sivan vaut également par ses acteurs. Que ce soit Haïm-Aaron, joué par Aharon Traitel comme un Candide découvrant tous les aspects du meilleur des mondes possibles, ou son père-ogre, interprété magistralement par le grand acteur israélien d'expression arabe Khalifa Natour que l'on a pu voir chez Peter Brook.
On prédit à "Tikkoun" un avenir rayonnant, même si, on s'en doute, il faudra bien des miracles pour que sa beauté et son intelligence évidentes sautent aux yeux des critiques aveugles. |