Comédie de Joël Dragutin, mise en scène de Patrice Marie, avec Perrine Jacquot, Aïda Agoune, André Collin, Ronan Lucas et François Buisson.
On a tous rêvé de le faire, mais Joël Dragutin, lui, il y a déjà une vingtaine d’années, l’a fait : écrire un repas sans fin qui résumerait tous les autres, où tout ne serait qu’échange de lieux communs, de lieux communs qui n’entraîneraient aucune conséquence dramaturgique, à peine quelques voix qui montent ou qui montrent quelques signes d’énervement. Pas de thème central donc à part le déroulé presque exhaustif de toutes les phrases attendues et convenues qui permettent d’éviter toutes les questions qui fâchent quand il y a cinq convives qui peuvent à tout moment changer de place, de sexe, de nom et même de fonction. On restera ainsi souvent à mi-chemin du "Dictionnaire de la bêtise" de Gustave Flaubert et de "La Première gorgée de bière" de Philippe Delerm, entre lapalissades incontestables et petites rosseries plus taquines que méchantes. Alignant les considérations climatiques et routières, les us gastronomiques et les civilités de bon aloi à respecter pour passer une excellente soirée.
Affublée de ce titre parce que, par le plus pur des hasards vacanciers, la conversation revient souvent sur le Sud de l’Italie, "La Baie de Naples" est un pur exercice formel qui fonctionne si son metteur en scène a compris qu’il devait faire office de chef d’orchestre et de chorégraphe.
C’est manifestement le cas de Patrice Marie, dont on avait déjà pu vanter l’excellente adaptation du "Mariage à l’Italienne" d’Eduardo Di Filippo. Il a compris que le texte de Joël Dragutin ne fonctionne que si le repas perpétuel ne s’éternise pas et se déroule au rythme des plats qui s’enchaînent et des verres qu’on vide ou qu’on remplit. Il a, en François Buisson, Ronan Lucas, Aïda Agoune, Perrine Jaquot et André Collin, cinq instruments de grande qualité qui interprètent cette symphonie sans un couac et en n’hésitant pas à picorer ou à picoler. On soulignera que la partition de Joël Dragutin ne cherche jamais à briller par des "mots d’auteur" et que c’est l’accumulation de phrases apparemment toutes faites qui s’entrechoquent qui finit par faire jaillir un grand éclat de rire. Si l’on pense nécessairement à un moment ou à un autre à Luis Bunuel et à Marco Ferreri, c’est que le temps passant, on est saisi par ce monument d’absurde qu’on est en train de voir et d’entendre. "La Baie de Naples" aurait très bien pu s’appeler "Le charme discret de la grande bouffe". Evidemment, on sera submergé par ce flot, par ce trop plein de mots et de mets. Tant pis si la fin n’est pas à la hauteur du reste du repas. On ne demandera donc pas de café et l’on en restera au fromage constamment désopilant et au dessert à jamais hilarant. |