Comédie dramatique de Christine Angot, mise en scène Célie Pauthe, avec Maria de Medeiros et Bulle Ogier.
Et si l'univers de Christine Angot était fait pour le théâtre ? Loin de toutes les polémiques, de toutes les impudeurs, "Un amour impossible" s'impose très vite avec l'évidence des grandes œuvres qui cueillent le spectateur sans avoir besoin d'effets ni de trucs.
Tout commence sur une grande scène vide, noire mais baignée dans une juste lumière qui crée un climat feutré, propice aux confidences.
Vont jaillir, chacune de leur côté, Christine et sa mère, Rachel. Toutes les deux en pantalon et en veste. Toutes les deux simplement mais élégamment vêtues. Le rouge du chemisier de Christine contraste avec son ensemble noir, ses cheveux noirs. Elle est à la fois petite et grande fille, selon sa voix, selon la précipitation de son corps. Face à elle, sa mère. Blonde, habillée dans des couleurs moins sombres ou moins vives.
Il y aura quelques explosions, quelques mots plus haut que l'autre, mais, dans l'ensemble, ce n'est pas un affrontement qui est décrit ici. Au contraire. Avec délicatesse, une assurance certaine, c'est le drame intime qui se dit, qui, peu à peu, s'expose et s'apaise.
Tout dans la mise en scène de Célie Pauthe a pris le parti de la compréhension. Comment peut-on vivre après l'inceste ? Pourquoi la mère n'a pendant si longtemps pas su ? Pourquoi s'est-elle murée dans le silence quand elle a enfin su ?
C'est une longue recherche qui fait, finalement, enfin se rencontrer une mère et une fille, toutes les deux victimes d'un homme qui n'est qu'un reflet social, qui n'a agit qu'en agent sociologique, qu'en représentant d'une classe dominante pour assurer sa domination sur deux femmes qui pouvaient la nier.
Tout dans "Un amour impossible" est au service de la lumière contre l'ombre, du plein qui chasse le vide, de l'amour contre la barbarie.
Célie Pauthe a trouvé la manière d'habiter le récit de Christine Angot. Le style dépouillé de celle-ci se retrouve dans la scénographie de Guillaume Delaveau, d'une très grande élégance.
Reconstitution d'un intérieur des années soixante dix avec seulement quelques éléments posés progressivement, évocation d'un grand hôtel avec des fauteuils blancs et des tables noirs, c'est dans un décor à la fois affirmé et elliptique que les deux femmes échangent, passent de l'incompréhension, de la sidération à la complicité dans les lumières subtiles de Sébastien Michaud.
Le couple Maria de Medeiros - Bulle Ogier fonctionne parfaitement. On pense parfois à "Sonate d'automne" d'Ingmar Bergman, mais dans "Un amour impossible", la mère n'est pas un "monstre sacré" qui a mangé sa fille. C'est une équation où tous les facteurs aboutissent à une égalité, à une émotion partagée, démontrée.
Célie Pauthe utilise quelques vidéos des visages en gros plan des deux femmes où elles paraissent plus assurées, plus pénétrées de vérité et de certitudes que pendant leurs échanges "en direct".
Cette distanciation, où l'on se rappelle un instant qu'on est en présence de deux grandes comédiennes qui savent aussi occuper tout l'espace d'un écran, ne nuit pas. Au contraire, elle conforte l'idée d'un spectacle total, où Maria et Bulle sont autant présentes que Christine et Rachel. On ne peut s'empêcher de penser à l'écho que doit avoir chez Bulle Ogier ce dialogue d'une mère avec sa fille.
Mais là encore, nulle impudeur, nulle faute de goût. Christine Angot a adapté son roman pour la scène avec une belle retenue sereine. Avec quelques réminiscences durassiennes, "Un amour impossible" est un moment théâtral totalement accompli, totalement convaincant. |