Comédie dramatique de Christophe Pellet, mise en scène de Stanislas Nordey, avec Emmanuelle Béart, Thomas Gonzalez et Laurent Sauvage (en alternance Victor de Oliveira).
Désolé pour les admirateurs d'un des plus grands cinéastes de tous les temps, et peut-être le plus grand du muet, qui fut aussi l'immortel Von Rauffenstein de "La Grande Illusion", mais Eric von Stroheim, avec ou sans "h" à son prénom, n'est pas le sujet de la pièce de Christophe Pellet mise en scène par Stanislas Nordey.
Non, n'est évoqué le nom du merveilleux acteur des "Disparus de Saint-Agil et de "Sunset Boulevard" que parce qu'il l'aurait usurpé. La pièce, d'ailleurs, n'est même pas précise et n'explique quel était le but de celui que la publicité décrivait comme "l'homme que vous aimerez haïr" en se faisant passer pour l'officier autrichien qu'il interprétait dans certains de ses films comme "The Wedding March" ou "Folies de femmes".
Guère plus explicite sera la présence d'une immense photo de Montgomery Clift et de Lee Remick, tirée de "Wild River" ("Le fleuve sauvage"), l'un des plus beaux films d'Elia Kazan avec "Splendor in the grass", recouvrant la structure triangulaire qui se déploie pour laisser apparaître la scène où s'ébattent les trois protagonistes de cet "Eric Von Stroheim" aussi ésotérique dans son texte qu'érotique dans son contexte.
Très vite, on retrouvera le ton des œuvres de Christophe Pellet, celui d'un écorché ayant le courage - ou l'inconscience - de faire comme si Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce, voire Xavier Durringer, n'avaient pas déjà labouré les terrains sexués qui l'intéressent.
Une femme et deux hommes, donc. Mais pas pour un remake de "Jules et Jim". Plutôt pour évoquer le sexe et l'argent, le désir et les trafics de sentiments en tous genres dans une époque mondialisée qui désespère l'auteur.
La structure monumentale conçue par Emmanuel Clolus s'ouvre et se referme, laissant réapparaître régulièrement la photo de Monty et de Lee alors que résonne "Mon cœur s'ouvre à ta voix", l'air le plus célèbre de "Samson et Dalilah" de Camille Saint-Saens, dans une belle version classique, forcément celle de Maria Callas.
Ces choix, musicaux et photographiques, ont l'inconvénient de "dater" le travail de Christophe Pellet. On n'y voit une espèce de parti pris classique, "antimoderne", qui contrebalance ce qui peut être ressenti par le public comme une provocation, c'est-à-dire la présence d'un acteur nu du début à la fin.
Mais si Thomas Gonzales fait face à Emmanuelle Béart et Victor de Oliveira (en alternance avec Laurent Sauvage) en tenue d'Adam, ses propos sont chastes et ses considérations jamais vraiment pornographiques.
Dans "Erich Von Stroheim", on tourne autour de la question homosexuelle, puis bifurque vers celle de la bisexualité, sans y tomber franchement. Aucun geste équivoque, aucune hystérie, aucune déraison.
Christophe Pellet fournit un texte très écrit et très froid dans lequel n'entreront que ceux qui sont avertis de ce qui les y attend. Les autres ne s'ennuieront pas mais seront peu concernés par une œuvre autobiographique qui se refuse à exposer toutes ses clés.
Si Christophe Pellet aimerait recourir à toutes les audaces et toutes les provocations, Stanislas Nordey ne l'aide pas, ici, à s'affranchir de sa timidité ou de son autisme. Aucune étincelle lyrique ne jaillira pour que son texte s'embrase. Dommage. |