Tragédie de Albert Camus, mise en scène de Clémence Labatut, avec Clément Bayart, Charlotte Castellat, Victor Ginicis, Thibault Deblache, Quentin Quignon, Mélanie Rochis et Sébastien Ventura.
Challenge réussi pour la jeune Compagnie Ah ! Le Destin fondée par Clémence Labatut et Jessica Laryennat à leur sortie du Conservatoire, qui, pour une de ses premières créations, n'a pas opté pour la facilité en choisissant une partition complexe de l'écrivain, philosophe et dramaturge Albert Camus. Dans "Caligula", tragédie ressortant au théâtre philosophique et traitant, selon l'auteur lui-même, de "l’histoire d’un suicide supérieur", Camus use du détour historique en retenant un archétype du tyran fou. La figure du despotique, et vraisemblablement psychopathe, empereur romain caractérisée par l'absence de tout principe moral constitue le médium pour illustrer et éprouver tant les fondements de l'existentialisme, dont celui de la révolte individuelle, qu'affirmer son fondement humaniste tout en opérant une critique du totalitarisme. Une expérience traumatique, la confrontation avec la mort, celle de sa soeur et amante, révèle à Caligula le non-sens du monde ce qui déclenche une rage destructrice pour faire partager au monde son expérience de l'absurdité de la condition humaine, assouvir une soif de liberté absolue et utopique et se réaliser négativement dans une véritable mise en scène du pouvoir qui entre en résonance avec la société du spectacle contemporaine. A la mise en scène, Clémence Labatut assure une mise en scène maîtrisée, nonobstant quelques effets scéniques convenus de la jeune création contemporaine, et déploie les comédiens tant dans l'antre impérial conçu par Julien Dubuc comme une back-room du pouvoir avec ses outrances grotesques que dans la salle. Animés par une belle énergie, d'une remarquable fraîcheur de jeu et, au niveau prosodique, d'une bienvenue justesse de ton, les officiants s'avèrent tous prometteurs : Sébastien Ventura et Victor Ginicis (les patriciens serviles), Charlotte Castellat (le serviteur-bouffon), Mélanie Rochis (la maîtresse de Caligula), et pour les forces d'opposition, Clément Bayart (l'intellectuel) et Thibault Deblache (le poète). Mention spéciale à Quentin Quignon qui, dans le rôle-titre, assure de manière appropriée et investie toutes les contradictions et mises en abîme d'un personnage qui oscille entre mélancolie, mégalomanie et lucidité désespérée. |