Comédie dramatique écrite et mise en scène par Philippe Sabrès, avec Isabelle Fournier et Philippe Bertin.
Robert est professeur d'histoire dans un lycée de Courbevoie, Suzanne, sa femme, travaille dans une agence artistique. La ville vient d'être bombardée. C'était l'usine d'aviation qui était visée, mais le lycée de jeunes filles a été touchée par la même occasion. Du coup, pour sa dernière année d'enseignement, l'année 1942-43, Robert Radouille aura pour la première fois des filles et des garçons. Encore l'Occupation, encore une fois des Français moyens, une TSF et des "Boches", dira-t-on. Mais le texte dense et particulièrement bien écrit de Philippe Sabrès a l'originalité d'être didactique dans le bon sens du terme. Grâce à lui, et à l'intimité d'un couple déjà âgé, le spectateur va être amené à comprendre des choses simples mais essentielles qui devraient enfin l'éclairer sur l'éternelle ritournelle "qu'aurais-je fait et été en ces temps-là ?". Parmi elles, primordiale, déterminante, il y a l'ombre partout présente de la Première guerre mondiale. Ici, Robert et Suzanne forment un vieux couple uni par un drame : la mort de leurs fils Michel, tué en novembre 1918. Toute leur attitude pendant l'Occupation procède de là. Ainsi Robert s'enflamme pendant son cours sur la guerre de 1914, peste contre l'État-major qui, à quelques heures de l'armistice, envoyait encore des jeunes gens comme Michel à une mort certaine. Sur son tableau noir, il écrira "12 %" pour bien frapper l'imagination de son auditoire : 12 % des soldats tués pendant la grande boucherie avaient moins de vingt ans. Voilà donc clairement définie la vie des Radouille : celle de deux êtres vivant dans le souvenir d'un jeune homme pas assez myope pour échapper à la faucheuse, celle de deux humains pétris par le malheur et qui ne peuvent croire aux temps nouveaux promis par un vieux général devenu maréchal que Robert ne cite jamais dans son cours.
Tout en emportements, Robert est excessif et disert pendant que Suzanne est en retenue, prête parfois à croire encore à la vie, à esquisser un pas de danse ou à chanter, même en allemand... La trame dramatique imaginée par Philippe Sabrès s'avère d'une grande logique et d'une grande force. Elle bénéficie de l'interprétation convaincante et émouvante de Philippe Bertin et Isabelle Fournier. Mention aussi à la scénographie d'Olivier de Logivière, qui fait, en une rotation, d'un tableau noir une table où l'on mange la soupe, comme si, en un instant, la grande Histoire se muait en histoire intime. "Trois quarts d'heure avant l'armistice" n'est donc pas un texte de plus sur cette Occupation qui ne passe décidément pas, mais une belle réflexion incarnée sur comment vivre et pouvoir s'aimer en des temps infâmes. |