Drame d'Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, mise en scène de Salomé Broussky, avec Dimitri Storoge et Maud Wyler.
Salomé Broussky a eu l'excellente et judicieuse idée de s'intéresser à "La Révolte", un opus théâtral du romancier Auguste de Villiers de L'Isle-Adam plus connu pour ses écrits d'obédience symboliste. Ressortant par sa forme de la scène de vie conjugale et au fond à l'existentialisme, la partition porte une critique virulente du matérialisme qui lamine toute aspiration intellectuelle, des conventions qui ne tendent qu'à la perpétuation de la classe bourgeoise au détriment de l'épanouissement personnel des individus et de la condition féminine soumise au déterminisme social et biologique. Bien qu'écrite en 1870, et nonobstant sa langue superbe de concision qui ne constitue certes pas un obstacle à sa modernité, cette partition, transposée dans un univers contemporain scénographié par Dominique Borrini, celui d'un salon minimaliste et impersonnel d'un blanc clinique, se révèle d'une résonance contemporaine époustouflante. La révolte est celle d'une jeune femme qui dispose de tous les éléments ostensibles de la réussite et de la félicité, mais nourrit en son for intérieur un mal existentiel qui résulte de l'inadéquation entre sa situation et sa conception idéaliste voire utopiste de la vraie vie et du bonheur ainsi que de son statut, elle est passée, sans alternative possible, de celui de fille à celui d'épouse, qui exclut tout épanouissement personnel. Consciencieusement avec autant de loyauté que de préméditation, elle a oeuvré pendant plusieurs années pour "racheter" sa liberté de penser et de vivre et, un soir, elle opère une reddition de comptes sans appel. Mais comme Marivaux en son temps, Villiers de L'Isle-Adam ne déroge pas au principe de réalité qui gouverne le monde. La direction d'acteur de Salomé Broussky s'avère tout aussi exemplaire qu'émérite est l'interprétation des officiants. Dimitri Storoge compose efficacement toutes les étapes psychiques de la dévastation générée par une une prise de conscience qui ébranle les principes et valeurs auxquels il a adhéré sans conscience - de la stupeur tant cette "révolte" est inattendue et même totalement imprévisible à l'incrédulité, de la minimisation narquoise à l'abasourdissement, de la controverse indigente dans un débat d'idées qui le dépasse à l'intimation tyrannique, de l'impuissance à l'accablement - et va le jeter à terre.
Maud Wyler apporte à son personnage une beauté intérieure, un charisme et une corporéité exceptionnelles ainsi qu'une fragilité perceptible sous une attitude d'une inflexible fermeté.
Sans haussement de ton, imprécation ou accusation subjective, elle incarne avec perfection une femme qui expose non ses doléances mais les raisons d'une décision radicale qui implique un choix drastique impliquant un abandon absolu et total, celui du foyer conjugal, de son enfant et du monde. Une pépite pour les orpailleurs qui sortent des veines battues. |