Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Thomas Bernhard interprété par Nicolas Bouchaud dans une mise en scène de Eric Didry.
En parallèle avec sa carrière d'interprète, Nicolas Bouchaud, un des meilleurs comédiens de sa génération et émérite passeur de textes, mène un "solo side project" avec le metteur en scène Eric Didry et la collaboration artistique de Véronique Timsit, à partir de textes non destinés originellement à la scène. Avec "Maîtres anciens", ils ont investi l'oeuvre éponyme du romancier et dramaturge autrichien Thomas Bernhard, qui, comme leur premier opus "La loi du marcheur ", aborde la thématique du rapport à l'art et au monde. Ce choix est judicieux non seulement en ce qui concerne la dialectique bernhardienne mais également car elle aborde et développe l'ensemble de ses thèmes récurrents constituant à ce titre une synthèse édifiante et une bonne introduction à son oeuvre. Dans ce roman-monologue autofictionnel sous-titré "Comédie", à entendre comme visant tant la comédie de l'art que la comédie humaine, qui travaille sur le motif de la disparition, un détestateur du monde qui s'est esquivé dans l'art pour l'éviter, avatar de l'auteur sur le mode de l'atrabilaire moliéresque, se répand en imprécations furieuses et proférations polémiques. Thomas Bernard se livre à un radical jeu de massacre iconoclaste qui embrasse toutes les époques, tous les arts et toutes les institutions tant publiques que familiales avec en ligne de mire les artistes de toutes disciplines, et en tête de gondole Beethoven, Stifter et Heidegger, l'Autriche, l'Etat, l'Eglise catholique et la famille. En guise de balles, deux armes de destruction massive : la critique et la satire par le prisme de la caricature qui constituent une filtre révélateur pour désacraliser les oeuvres ridicules, pénibles et "kitsch" et s'émanciper des figures tutélaires et oppressives, ce qui, sur le principe, s'avère roboratif mais, en l'espèce, s'apparente au nihilisme. Dans une évocation de salle muséale conçue par Elise Capdenat et Pia de Compiègne ont conçu un décor évocateur du fantôme d'une salle muséale vide dans laquelle sévit l'exhortateur, un critique musical atteint de "logorrhée musicologique" qui sacrifie tous les deux jours au même rituel, aller au Kunsthistorisches Museum de Vienne pour demeurer assis des heures devant une toile du Tintoret.
En adresse au public campant l'interlocuteur romanesque, Nicolas Bouchaud captive l'auditoire en dispensant magnifiquement un texte-fleuve en éruption qui emporte tout sur son passage avec force ratiocination paradoxale placée sous le signe du scepticisme mais non dénuée d'humour et qui ne connaît qu'une brève embellie, celle du souvenir de la femme aimée. |