Montage de textes de Annie Ernaux, Michel Foucault, Didier Eribon, Marguerite Duras et Serge Doubrovsky conçu et mis en scène par Alexandre Doublet, avec Gérard Hardy, Yassine Harrada, Malika Khatir, Anne Sée et Emilie Vaudou.
Avec peu de moyens, un plateau couvert de sable noir, une chaise, un jeu constant entre l'obscurité et la lumière, et cinq acteurs qui monologuent, Alexandre Doublet compose un vrai spectacle théâtral.
Sans doute, le choix des textes qu'il a opéré y est-il pour une large part. Non seulement, on entendra successivement la parole de Marguerite Duras, Annie Ernaux, Didier Eribon et Serge Doubrovsky, entrecoupée parfois par celle de Michel Foucault (Emilie Vaudou) tiré d'un beau texte ésotérique sur les "hétérotopies", ce qu'il appelle aussi "les espaces absolument autres".
Car les œuvres astucieusement rassemblées par Alexandre Doublet en ont commun d'être des textes à la fois vrais et faux, des faits bruts et des faits reconstitués, retravaillés, donc "absolument autres" selon l'expression de Foucault.
Dans ce lieu propice à l'écoute, on traversera des histoires personnelles revisitées par des écritures fortes ou audacieuses. "Dire la vie", c'est entrer au pays de l'auto-fiction telle que Serge Doubrovsky l'a inventée.
Alexandre Doublet a choisi un extrait du "Livre brisé", roman qu'il a consacré à la mort de sa femme tant aimée. C'est la dernière parole que l'on entend. Peut-être la plus belle, et qui retentit avec encore plus d'émotion quand on sait que Serge Doubrovsky est mort au début de l'année 2017.
"Dire la vie", c'est un chemin qui part de Duras, qui parle que tout doit faire écriture, même une mouche qui agonise parmi ses millions de mouches dont personne ne contera l'agonie, à Doubrovsky qui évoque l'enterrement au Père-Lachaise de sa jeune femme morte à 36 ans.
Mais si Malika Khatir (Duras) est assise à l'avant de la scène pour dire les mots de Marguerite Duras, Gérard Hardy (Doubrovsky) sera debout, muet, devant un micro où il a fixé un enregistreur, pour s'écouter raconter la mise au tombeau de sa compagne.
Entre la fiction et l'audio-fiction, on aura aussi l'occasion d'entendre l'émouvant récit d'Annie Ernaux où elle livre par la voix d'Anne Sée tous les détails de l'avortement qu'elle a subi ainsi que le "retour à Reims" de Denis Eribon interprété par Yassine Harrada.
Dans les deux cas, deux enfants sortis de la classe populaire par les études, reçoivent en plein fouet le prix a payé pour s'en être "sorti" : la bestialité des "faiseuses d'ange" pour Annie, l'incompréhension de l'homosexualité pour Didier.
Subtilement éclairé par William Lambert, qui n'hésite pas à frôler parfois le noir intégral, "Dire la vie" résonne de l'écho de ces textes très forts. On est constamment sous l'emprise de ces bouts de vie où l'écriture transcende la souffrance, l'exprime avec une justesse et une précision qui la rende encore plus insupportable.
On communie, on compatit et l'on applaudit parce que ces mots orchestrés par Alexandre Doublet sont un hymne à ceux qui endurent le pire pour le transformer en ce qui les fera tenir debout, fiers et libres. |