Monologue dramatique d'après le récit éponyme de Mathilde Daudet interprété par Nathalie Mann dans une mise en scène de Franck Berthier.
Le metteur en scène Franck Berthier a procédé, avec la collaboration de l'auteure Mathilde Daudet, à la transposition théâtrale de son récit autobiofictionnel paru sous le titre "Choisir de vivre" qui aborde le thème de la transsexualité à travers son atypique parcours personnel.
En effet, le ressenti par Mathilde de son trouble identitaire, longtemps considéré comme une maladie mentale ressortant à la psychiatrie, qui n'est jamais en reste pour résoudre la dissidence sociale de quelque nature qu'elle soit, qui l'a qualifié de dysphorie de genre, s'avère singulier.
En effet, sa problématique n'est pas celle d'une femme dans un corps d'homme mais celle d'un corps d'homme qui abriterait les âmes et les corps de jumeaux de sexe différent, situation qui évoque le phénomène réel et rarissime de l'ischiopagus avec la présence d'un jumeau parasite.
Enkystée dans ce corps génétiquement masculin, Mathilde la captive, "l'Eve interdite", survit en se développant de manière phagocytaire et mène un combat qui s'apparente à une lutte fratricide avec Thierry, le dominant qui, s'arc-boutant sur une virilité exacerbée, résistera pendant cinquante ans de manière archétypale : métier de "mec" et hétérosexualité attestée par le mariage et la paternité.
S'inspirant du défilé d'images qui caractériseraient l'expérience dite "de mort imminente", Franck Berthier a élaboré un monologue théâtral saisissant composé des bribes mnésiques qui surgissent dans l'esprit de Mathilde à la veille de l'opération chirurgicale qui l'accouchera à la vie visible.
Celles-ci déclinent une pluralité de thématiques réflexives telles la liberté du corps, le discours qui soutient la procédure de réassignation soumise à l'accord de la médecine, alors même que la qualification de pathologie mentale a été abandonnée, et de la justice (ne manque que la bénédiction du goupillon), et la réaction de la société hétéronormée qui repose sur le principe de prévalence phallique et le complexe de castration dont l'étendard est brandi pou signifier que le changement de sexe traduit un désir de mutilation sexuelle.
Cet hymne tragique à la vie qui se déroule dans l'espace mental de la protagoniste est soutenu par la scénographie sobre, esthétisante et presque poético-onirique élaborée par Franck Berthier, essentiellement une mer de sacs en plastique transparent comme ceux que le personnage utilisait pour protéger sa parure féminine.
Ce dispositif scénique introduit une bienvenue distanciation au regard du pittoresque anecdotique et du voyeurisme souvent de mise quand est abordé le concept de genre, tout en inscrivant l'opus dans un vécu intime.
Pour porter cette partition, une comédienne à l'impressionnante puissance de jeu, Nathalie Mann qui réalise une superbe prestation d'appropriation du texte et une époustouflante performance d'incarnation.