Réalisé par Hlynur Palmason. Danemark. Drame. 1h34 (Sortie le 21 février 2018). Avec Elliott Crosset Hove, Carl Peter Plaugborg, Michael Brostrup, Simon Sears et Victoria Carmen Sonne.
Pour un premier film, "Winter Brothers" de Hlynur Palmason est un coup de maître.
Tout commence dans le boyau sombre d'une mine où l'on suit, caméra sur l'épaule, les faisceaux de piles électriques dont les mouvements erratiques ressemblent à des vols de lucioles, et éclairent parfois un vague corps humain ou un bout de visage enfoncé dans un casque lui aussi très épisodiquement éclairé.
Le plan dure plus de cinq minutes et inaugure d'un filmage qui ne sera pas commun, avec ses prédominances de blanc sale, de bleu pâle et de couleur chair.
Hlymur Palmason, Islandais entouré d'acteurs danois, va alors dérouler une histoire apparemment simple, mais qui peu à peu se transforme en récit fantastique dans laquelle la neige et le calcaire, les deux frères Emil et Johan, vont interférer dans un drame social et onirique dont il sera, au final, bien difficile d'expliquer la résolution.
Qu'importe, cette mine où l'on extrait du calcaire, cette usine monstre qui broie les hommes, fournit des images organiques très puissantes, très signifiantes. Ici, on s'enfonce, on patauge. Les corps sont zébrés d'une pâte argileuse. Les maisons sont tristes et carrées, moches à l'intérieur, saturées de sacs poubelles à l'extérieur.
Les travailleurs sont voués à une lente morte physique et morale. Les frères se battent épiderme contre épiderme pour la seule femme désirable. Il n'y a pas d'horizon, même pas pour le cinéma qui se fait parfois photo et devient une série de plans fixes dignes de diapositives.
"Winter Brothers" de Hlynur Palmason paraît décrire un enfer concentrationnaire, un monde sibérique où les hommes sont condamnés pour on ne sait quelle raison aux travaux forcés à perpétuité.
Le jeune héros, magnifiquement incarné par Elliott Crosset Hove dont on prédit avec certitude qu'il n'en restera pas au "niveau" du cinéma danois, a quelque chose du "Stalker" de Tarkovski. Seul à transgresser un ordre établi quasi immuable, courant comme un dératé dans la forêt, seul espace d'apparente liberté, il a le visage expressif de l'homme sans qualité, celui qui va mourir ou partir, s'envoler ou s'écraser.
On n'oubliera pas la belle scène où il se retrouve dans l'antre d'un homme qui tranche avec toutes les tenues bleu pâle des mineurs. Ce vieux barbu vit dans un bric-à-brac saturé d'objets et de vieux journaux, une espèce de caverne d'Ali Baba pleine de détritus qu'il vante à Emil comme des trésors.
C'est un personnage qui rappelle le Père Jules de "L'Atalante" et, comme dans le film de Jean Vigo, ce clochard dingo est celui qui ouvre les portes d'un autre monde. Comme par hasard, Emil en revient avec un fusil et l'on entrevoir un instant une possible tuerie générale.
Mais se révolter aujourd'hui, ce n'est plus - ou pas encore - prendre les armes pour construire un nouveau monde ou détruire un ordre ancien. C'est seulement y songer et puis passer à autre chose...
Qu'y a-t-il derrière la vie et le mal de vivre d'Emil ?
"Wind Brothers" de Hlynur Palmason ne résout aucune question. En pose-t-il vraiment, d'ailleurs ? Qu'importe, ce disciple encore lointain de Tarkovski pose surtout la première pierre de son cinéma.
On espère qu'il ne se laissera pas manger tout cru par toutes les distinctions qui lui tombent des festivals auxquels il participe parce qu'il a présenté un premier film aussi original que maîtrisé qui préfigure des œuvres futures qui feront date. On en prend le pari audacieux. |