Monologue dramatique conçu et interprété par Françoise Gillard d'après le récit éponyme de Annie Ernaux.
Publié en 2000, "L'Événement" est désormais considéré comme l'un des textes les plus forts d'Annie Ernaux. Une fois encore, son écriture simple, "blanche", directe, sans afféteries même dans sa froideur et sa simplicité, fait mouche.
Aux portes de la soixantaine, la romancière produit un récit quasi clinique sur un des moments les plus importants de sa vie : son avortement alors qu'elle était étudiante. On le sait depuis "La Place" ou "La Honte", Annie Ernaux est la première d'une famille ouvrière, dont le père s'est "élevé" en devenant un tout petit commerçant, à franchir la barrière d'airain, celle de la culture, celle qui lui donne la clé - une clé douloureuse, elle ne cesse de le clamer - pour entrer dans une autre classe sociale, celle qui sait, celle qui dirige.
Mais, alors que tout semble la conduire à des études brillantes, elle tombe enceinte d'un étudiant bordelais en sciences politiques... Ne pouvant ni ne voulant garder l'enfant, elle est renvoyée pour s'en séparer dans le monde d'avant. Elle, l'étudiante, va avorter clandestinement dans des conditions sordides, comme une fille de son âge qui travaille en usine.
Il faut se rappeler qu'à l'époque, avorter était encore un crime et que si l'on n'avait pas les moyens d'aller avorter dans des pays voisins plus tolérants, on était condamné à faire appel à une "faiseuse d'anges". Annie Ernaux décrit tout cela avec une précision sans effets qui glacera mais qui est tempéré par une capacité étonnante d'auto-analyse.
Assise sur une chaise disposée à l'envers, le buste appuyé contre son dossier, Françoise Gillard fait mieux qu'une lecture de ce chef-d'oeuvre. Elle l’interprète sans notes, d'une voix de presque petite fille qui murît peu à peu au gré du déroulement inexorable de cet "Événement" douloureux.
Elle sait faire passer l'émotion qu'Annie n'étale jamais dans son récit, se permettant seulement d'employer les mots qu'il faut employer, de ne jamais se complaire dans l'euphémisme et le non-dit.
Quand aura eu lieu "l'expulsion" dans une scène qui ne laisse pas indifférent, Françoise Gillard se contentera d'ôter le dossier de sa chaise et de se lever. Dans cet épure de mise en scène conçue avec la collaboration de Denis Podalydès, dont on entendra à un moment la voix chaude, les étapes - on pourrait presque écrire les "stations" - de ce parcours tristement "initiatique", tout se joue pour le destin de la jeune Annie en enlevant et en remettant son pull en mohair vert.
Dès son entrée, Françoise Gillard captive son auditoire. En quelques répliques, même si on ne l'avait jamais vue sur scène, on sera persuadé que la jeune sociétaire de la Comédie française va vite devenir une actrice majeure. Sa fragilité supposée cache quelqu'un de très déterminée qui, en outre, trouve le ton juste pour que sa version transcende un texte déjà admirable en soi.
C'est là la grâce d'une grande interprète comme Françoise Gillard : trouver le moyen d'aller encore plus loin avec un texte dont n'importe quel comédien talentueux pourrait s'emparer avec succès. Ce qu'elle apporte à la prose d'Annie Ernaux est sans prix. Elle la rend tout bonnement évidente. |