Spectacle écrit et mis en scène par Frédéric Sonntag, avec Simon Bellouard, Julien Breda, Romain Darrieu, Amandine Dewasmes, Florent Guyot, Sabine Moindrot, Malou Rivoallan, Fleur Sulmont, Paul Levis et Gonzague Octaville.
Avec la Compagnie AsaNIsiMAsa, dédiée à l'exploration de l'histoire du 20ème siècle et des mythologies de la culture pop, dont il est le fondateur, Frédéric Sonntag a entrepris en 2013 l'élaboration d'une "Trilogie fantôme" articulée autour d'un personnage, réel ou fictif, dont l'identité, réelle ou fictive, demeure incertaine et toujours énigmatique utilisé comme "macguffin" à la manière hitchcockienne.
Ce personnage-arlésienne constitue le point d'ancrage autour duquel s'articule, sous obédience cinéphilique, une narration échevelée, à la manière feuilletonesque qui a fait le succès du "Porteur d'Histoire" de Alexis Michalik, au soutien d'un opus théâtral hybride ressortant au théâtre néo-dramatique résultant du télescopage du dramatique, du documentaire et du narratif et sous une forme qui emprunte à plusieurs sous-genres du roman policier et notamment le roman noir.
Et sont abordées les mêmes thématiques récurrentes telles la fonction du récit, le concept d'identité, la fonction du masque, l'impact historiciste des mythes contemporains, la manipulation des masses, la critique du capitalisme, l'antiaméricanisme et le désenchantement des générations post-soixante-huitardes qui rêvent de faire la révolution en sachant qu'elles ne la feront jamais que sous forme confortable du simulacre.
Après "George Kaplan" qui opère une mise en perspective entre une cellule activiste clandestine, un groupe de scénaristes de télévision et un quintet d'éminences grises au coeur du pouvoir politique et "Benjamin Walter", "roadtrip musical et littéraire" à travers l’Europe à la recherche d'un jeune écrivain, avatar mystérieux du vrai philosophe et critique Walter Benjamin, Frédéric Sonntag clôt la trilogie avec "B. Traven" qui en reprend l'essentiel de la structure.
Cet opus s'articule autour du nom de plume d'un écrivain sans visage et aux multiples hétéronymes cultivant le mystère quant à son identité réelle, auteur de nombreux romans dont le fameux "Trésor de la Sierra Madre" transposé au cinéma par John Huston, qui apparaît au Mexique en 1924, pays qui va constituer le point de convergence, nonobstant les différences de temporalités, de nombreux itinéraires individuels.
A commencer par celui de la fille du fameux scénariste Dalton Trumbo, qui fut condamné à l'exil au Mexique durant les années maccarthystes, qui, à la recherche d'un scoop, mène une enquête journalistique pour démasquer le vrai B. Traven.
Sur toile de fond mexicaine, de la Révolution à la barrière Etats-Unis-Mexique, la partition passe, entre autres, par le culte de la "lucha libre”, le catch mexicain dont le héros ultime, El Santo, refusait de quitter son masque d'argent qui inspire un groupuscule et évoque les protagonistes du groupe trash berlinois Rock’n’Roll Wrestling Bash, le fiasco d'un collectif culturel de squat dans les années 1990 et l'aliénation sociale des individus sous l'emprise du consumérisme et la stratégie politique reposant sur la version moderne "Funk-food et télévision" de la locution antique "Du pain et des jeux".
Dans une scénographie de Marc Lainé évoquant la configuration des anciennes salles de cinéma avec scène et rideau et sur une création musicale de Paul Levis qui accompagne et surligne la partition textuelle à l'instar d'une bande-son, Frédéric Sonntag opère une mise en scène cinétique à la manière du fondu enchaîné et dirige une épatante troupe de comédiens.
Rompus à l'exercice tant du multi-rôles que du changement de registre et à l'enchainement aussi rapide que fluide des scènes qui soutiennent la coexistence de la situation dramatique et de la fiction intra-théâtrale, Simon Bellouard, Julien Breda, Romain Darrieu, Amandine Dewasmes, Florent Guyot, Sabine Moindrot, Malou Rivoallan, Fleur Sulmont, Paul Levis et Gonzague Octaville entraînent le spectateur dans une passionnante épopée réflexive. |