Drame d'Auguste de Villiers d'Isle-Adam, mise en scène Charles Tordjman, avec Julie-Marie Parmentier et Olivier Cruveiller.
"La Révolte" est une pièce en un acte écrite en 1870 par Auguste Villiers de l'Isle-Adam qui reste à la postérité pour ses "Contes Cruels" qui en font un auteur "fin de siècle" de première importance, à l'image d'Octave Mirbeau.
La comparaison avec le dramaturge des "Affaires sont les affaires" n'est pas vaine puisqu'on retrouve chez les deux auteurs le même ton incisif, la même dénonciation d'une bourgeoisie cupide qui a pris les rênes de la société de la troisième république naissante.
On note un regain d'intérêt pour "La Révolte" et la version que propose et met en scène Charles Tordjman est la troisième après celle de Marc Paquien* en 2015 et celle de Salomé Broussky** en 2017.
Ce qui frappe, c'est que la différence dans les propositions faites tient principalement à l'âge des deux protagonistes : chez Marc Paquien, les deux comédiens ont dépassé la quarantaine, chez Salomé Broussky, ils sont plutôt des trentenaires et pour Charles Tordjman, la pièce est une opposition entre une femme assez jeune, Elisabeth (Julie-Marie Parmentier) et un mari plus âgé (Olivier Cruveiller).
Autre parti pris de cette nouvelle version, les deux comédiens n'évoluent pas dans un décor d'époque, mais dans un cadre blanc teinté de bleu conçu par Vincent Tordjman, un cadre très elliptique puisque, par exemple, Elisabeth n'écrit pas sur une table les comptes interminables qui en font la bête de somme de son époux, mais sur une structure blanche qui participe à la coupure de la scène en deux espaces.
Pareillement, les lumières de Christian Pinaud ne contribuent pas à la pénombre qu'on imaginait plutôt être le lot de ces deux bourgeois enfermés dans une grande maison où l'on économise sur les bougies.
Au contraire, tout est fait pour que Julie-Marie Parmentier apparaisse dans une extrême blancheur, comme si elle était encore vierge, avec des traits contrastant avec la robe sombre, très second empire dont elle est revêtue.
Ce n'est donc pas l'austérité imaginée qui caractérise l'ambiance de cette "Révolte". Olivier Cruveiller campe un mari beaucoup moins obtus que celui composé par Hervé Briaux face à Anouk Grinberg. On a même l'impression qu'il joue au second degré quand il prononce des paroles odieusement sexistes sur sa femme alors qu'elles ne sont que le reflet de la vision "naturelle" de la femme par l'homme de 1870.
Cela change tout et la colère de son épouse ne paraît pas un surgissement inattendue mais un long processus ruminé à force d'humiliations qu'elle a ressenties au cours des jours laborieux où elle s'exténue, seulement bercée par les paroles insipides de son mari.
Sans doute, Julie-Marie Parmentier conçoit-elle son personnage de manière trop monolithique et l'on pourrait penser qu'elle le fera évoluer vers plus de fragilité. Mais elle emporte la conviction, le menton volontaire, et on sait qu'elle va désormais défendre bec et ongles un texte largement en avance sur un temps où la femme n'était encore pas dotée des attributs complets de la personnalité juridique.
Qu'un auteur ait pu, il y a cent cinquante ans, porter avec autant de justesse la parole féminine et la synthétiser dans le cri de révolte d'une femme tient presque de l'improbable. Villiers de l'Isle-Adam l'a pourtant fait et l'on comprend pourquoi cette pièce est d'une modernité étonnante.
La proposition qu'en tire Charles Tordjman est passionnante parce qu'elle ouvre une discussion toujours en cours. |