Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Eric Holder, mise en scène de Alain Prioul, avec Yves Buchin, Corinne Debeaux et Olivia Machon.
Trois personnages. Trois chaises. Chacun son tour est dans la lumière pour réciter un extrait de "Mademoiselle Chambon", le roman d'Eric Holder. Un roman très représentatif de l'école "Minuit" des années 1980, au même titre que les œuvres de Christian Oster et de Jean-Philippe Toussaint : écriture "blanche", apologie de la banalité, économie de mots et d'action.
A les lire, ces romans peuvent paraître sans intérêt, sans réelle profondeur. En ce qui concerne Eric Holder, certains ricanaient même de le voir associer à Vincent Delerm, dans sa célèbre chanson, "Fanny Ardant et moi" : "Elle est posée sur l'étagère, entre un bouquin d'Eric Holder," un chandelier blanc Ikea et une carte postale de Maria".
Mais l'adaptation théâtrale de "Mademoiselle Chambon" que propose Alain Prioul devrait faire s'effacer bien des sourires condescendants : la petite musique d'Eric Holder n'y est pas une ritournelle qui tourne à vide. En passant une heure parmi ses mots, en compagnie d'un trio d'acteurs d'une sobriété exceptionnelle, on comprend toute la force de cette écriture sans fioritures.
Décortiqué avec beaucoup de finesse par Alain Prioul, le texte d'Eric Holder, qui sait contenir son minimalisme loin de l'écueil ascétique, dit très simplement l'essentiel sans jamais transformée l'évidence en trivialité.
Grâce aux lumières de Laurent Dhainaut qui le cernent alors, chacun des personnages prend la parole quand il est directement concerné, la quitte quand c'est au tour d'un autre. La lumière peut ainsi aller de l'un à l'autre, participer à l'un des rares dialogues.
Peu à peu, dans ce jeu subtil entre ce qui est éclairé et ce qui ne l'est pas, on a l'impression fausse d'entendre des "voix off" alors que celui qui parle est en permanence dans cette lumière, véritable quatrième protagoniste de la pièce. En tout cas, cela permet un rapprochement avec Truffaut que l'on envisageait déjà dans la chanson de Vincent Delerm par Fanny Ardant interposée.
Antonio, sa femme Anne-Marie et Véronique, l'institutrice de leur fils Kevin, forment un trio d'une elliptique version de "Jules et Jim". Le non-dit est torride et douloureux chez Antonio (Yves Buchin), le silence pourrait se vouer en complicité tacite chez la brune Anne-Marie (Corinne Debeaux) alors que la blonde Véronique (Olivia Machon) n'est que sensualité dans la solitude de la position ambigüe de celle qui vient d'un autre milieu, d'autant que l'enseignante est aussi musicienne.
Alain Prioul, en n'hésitant pas à rapprocher Eric Holder et François Truffaut, réussit pleinement son adaptation de "Mademoiselle Chambon", là où la version cinématographique de Stéphane Brizé se perdait dans le mélo social. Sans doute, le monolithisme de Vincent Lindon aggravait encore la lourdeur du contexte.
Rien de tout cela dans l'adaptation théâtrale d'Alain Prioul. Que cela se passe à la campagne dans un milieu simple n'implique aucun simplisme des sentiments. Ni réaliste ni vériste, "Mademoiselle Chambon" est ici le récit d'un évitement plus que d'un amour impossible.
Reste la beauté des sentiments que chacun des trois protagonistes sait faire surgir quand la lumière se pose délicatement sur lui. Une grande adaptation d'un auteur qui mérite plus qu'une étagère entre Fanny et Maria.
|