Les plus beaux métiers du monde seraient-ils journaliste et romancière ? Parce que les métiers sont en compétition ? Et s’il n’existait pas de beau métier mais seulement de belles personnes ? Alors il y aurait de sots individus et non de sot métier… On s’égare, on s’égare.
Je disais donc que Lisa Wingate est journaliste et romancière. Ci-joint son premier roman traduit en français : Les Enfants du fleuve.
A chaque fois qu’un bouquin aux mensurations de brique tel que celui-ci me tombe entre les mains, je me demande toujours si je vais être déçue par les élucubrations sans fin de l’auteur, ou si je vais finalement le trouver trop court. Et celui-ci est juste parfait. Lisa Wingate déroule patiemment le fil de son histoire, sans précipitation et sans tomber dans la facilité d’ellipses obscures troublant le lecteur.
Les Enfants du fleuve raconte l’histoire de Rill Foss et de ses quatre frères et sœurs. Mais aussi l’histoire d’Avery Stafford, brillante bourgeoise sympathique, fort intriguée par les mots de sa grand-mère. A deux voix, entre deux époques, l’intrigue est tissée entre Rill et Avery.
1939, la maman de Rill doit accoucher incessamment sous peu, et très immédiatement sur le bateau familial. Les complications arrivent, elle doit donc quitter le logis flottant avec le futur papa, laissant la marmaille angoissée aux bons soins de Rill, la grande sœur responsable. Littéralement enlevés par une espèce de mafia de l’adoption, les cinq enfants sont pris en charge par la Société des foyers d’accueil du Tennessee. Et pas de SOS société de la petite souris pour les sauver…
Maltraités, humiliés, négligés, exploités, insultés, dénutris et (revendus) adoptés par des notables en manque de tête blonde, la fratrie est éparpillée aux quatre coins du pays. De son côté, Avery Stafford parade aux côtés de son sénateur de paternel, en pleine campagne électorale. Un mot de sa grand-mère, un détail pique pourtant sa tranquillité comblée de privilèges, et l’avocate commence à poser des questions, mener sa propre enquête sur ses origines.
C’est à mon avis à ces moments que l’auteure fait mouche, car sans dépeindre des gentils et des méchants, elle distille des faits au creux des pages. Centré sur les individus, le roman confronte les choix des protagonistes, et nous comprenons leurs intérêts, leurs motivations. C’est sans prévenir que vous serez touché par la profonde tristesse de ces parents adoptants, face au chagrin insurmontable de la perte d’un enfant, quand "Une unique décision fatidique est prise sur les ruines insensées du chagrin". C’est avec émotion que le courage sans colère de Rill et d’Avery vous serrera la gorge.
Le pire dans cette histoire de trafic d’enfants, c’est qu’elle s’est répétée dans d’autres pays, à d’autres époques, et presque toujours selon les mêmes critères. De riches familles sans enfants, de pauvres ménages riches de naissances, face à la cupidité d’individus monnayeurs de bonheur. Partagée entre le besoin de débecquer le comportement d’un "c’est dégueulasse" et de m’auto flageller d’un "je comprends ce qui les pousse à ces extrêmes", mon petit palpitant se gonfle à la superbe fresque d’amour filial et fraternel du roman, sans renoncement et d’une sagesse incroyable. Sans rancune aucune pour cette Georgia Tann qui sévit réellement pendant près de 30 ans.
"Que nous aimions de tout notre cœur la mélodie d’un jour passé ou que nous imaginions la chanson d’un jour à venir, nous devons danser sur la musique du présent, sans quoi nous serons toujours à contretemps, à chanceler dans un écho qui ne correspond pas à l’ici et le maintenant".
Carpe Diem disent Les Enfants du fleuve, le cœur cousu à ma fratrie, amis spéciaux si précieux. Glaçant de vérité, superbe d’humanité. |