Alfred Brendel ne joue plus de piano sur scène depuis huit ans, se consacrant maintenant à l’écriture. Pourtant, quel plaisir de le retrouver dans ce disque magnifique ! Decca nous propose ici deux enregistrements live inédits provenant de la radio autrichienne ORF : le Concerto pour piano de Robert Schumann et Haendel Variations de Johannes Brahms.
Ce pianiste, né en 1931, se considère comme un autodidacte. Il puise son originalité dans le mélange culturel que lui procure sa famille (allemand, italien, autrichien, tchèque…). Après avoir remporté le grand prix du concours Ferruccio Busoni en 1949, il débute une tournée mondiale lui permettant de côtoyer de grands orchestres mais surtout de jouer sous la direction des plus grands chefs, tels que Karajan, ou Colin Davis. Il excelle dans l’interprétation d’oeuvres de toutes les époques mais se fait particulièrement remarquer dans le répertoire romantique.
C’est ici avec Sir Simon Rattle, dirigeant l’orchestre Philharmonique de Vienne, qu’Alfred Brendel interprète le concerto pour piano et orchestre en la mineur op.54 de Robert Schumann, concert capté en 2001 au Musikferein lors de la tournée célébrant son 70ème anniversaire.
Ce concerto sera joué pour la première fois en 1845 par Clara, la femme de Schumann. Le premier mouvement, "Allegro Affetuoso", est en fait une fantaisie que Robert avait composé pour Clara. L’effectif de l’orchestre sera d’ailleurs réduit au strict minimum avec les cordes, les bois par deux, deux trompettes, deux cors et des timbales, le compositeur cherchant à s’approcher de la musique de chambre. Dans cette interprétation, les contrastes de couleur et les nuances sont remarquablement mis en valeur dans un équilibre parfait entre le soliste et l’orchestre. Le deuxième mouvement, "Intermezzo", tout en tendresse et en délicatesse, accentue encore la recherche de cohésion entre soliste et instrumentistes. Le chant des violoncelles et le rappel du thème du premier mouvement par les bois nous amène au final "Allegro Vivace" où la technique et la virtuosité de notre soliste prend toute son ampleur. Alfred Brendel nous fait passer, dans ce concerto, de l’énergie à la douceur tout en restituant magnifiquement le romantisme et la fièvre de Schumann.
C’est avec le grand ami de la famille Schumann que se poursuit ce disque. Les Variations et fugue sur un thème de Haendel op.24, de Johannes Brahms sont considérées comme l’apogée de la forme Thème et Variation chez ce compositeur. Le thème principal, emprunté aux "Lessons" pour clavecin composées en 1733 par Georg Friedrich Haendel, sera décliné en 25 variations réunies selon une logique tacite. Alfred Brendel nous plonge dans des styles extrêmement différents passant de jeux rythmiques à passages en canon, variant les styles avec dextérité comme par exemple dans les Variations XIII et XIV mettant en valeur la musique hongroise. Mais surtout, il fait de son piano un véritable orchestre, cherchant à être proche de la harpe dans la variation XXI ou imitant le timbre des cuivres dans les variations XII ou XV. Cette oeuvre, captée à Vienne en 1979, jamais enregistrée en studio par Alfred Brendel, constitue une belle synthèse de toutes les possibilités techniques et musicales du pianiste.
Alfred Brendel a écrit, en écoutant l’enregistrement du concerto, qu’il avait le sentiment, pour une fois, d’entendre ce qu’il voulait entendre. Ce disque est une version admirable de ces deux oeuvres. Espérons que d’autres petits bijoux de la sorte soient encore en réserve et nous permettent de découvrir de nouvelles pages de cet immense pianiste. |